Pierre-Christophe Adrian : « Chaque bateau a son histoire… »

access_time Publié le 01/09/2023.

Des bateaux qui ne servent pas et qui, au lieu de prendre la poussière, sont mis à la disposition de ceux qui rêvent de naviguer l’espace de quelques heures : le concept est plutôt sympa. Bref, il existe depuis quinze ans à Bageset sur son magnifique étang. Il s’appelle la Bateauthèque. Pierre-Christophe Adrian, le président de l’association, nous dit tout.

Comment vous est venue l’idée de cette Bateauthèque ?

On ne peut exclure qu’une idée plutôt généreuse se soit dissimulée derrière une préoccupation banalement égoïste : lorsqu’on a plusieurs embarcations et comme on ne peut guère en utiliser plus d’une à la fois, où les ranger et qu’en faire lorsqu’on n’est pas sur l’eau ?

C’était bien sûr mon lot – et à ce titre j’ai longtemps été le premier bénéficiaire de cette initiative… – mais plus généralement, combien de bateaux dorment sur le rivage que personne n’utilise jamais – en moyenne et selon des chiffres invérifiables, il semble que les bateaux, ceux qui sont utilisés, oublions ceux qui ne le sont pas du tout – sortent sur l’eau moins de deux fois par an et combien de personnes ont des rêves de navigation et restent au bord faute de bateau ? Alors partageons : c’est facile et c’est joli.

Quelle est la philosophie de l’association ?

La première source de notre motivation est notre envie de faire partager l’émerveillement qui est le nôtre pour ce site exceptionnel de la lagune de Bages et toutes les sensations que l’on peut fabriquer autour : ici pas de compétition et pas de performance ; ceux et celles qui naviguent parmi nous aiment ce sentiment de découverte d’un nouveau point de vue sur le monde alors même qu’ils ne sont qu’au bout du ponton ; il est si délicieux d’être bercé dans son kayak même si c’est à 20 mètres du bord.

On aime donner ; on reçoit beaucoup. Cet endroit est aussi splendide que fragile : chacun ici peut s’en rendre compte sans longs discours ; et on aime aussi partager nos meilleurs endroits, nos promenades, nos coins à pique-nique et le lieu où – peut-être – on verra des oiseaux puisqu’ils y étaient la dernière fois et – sait-on-jamais – ils pourraient y être aujourd’hui…

D’autres autour de l’étang font le reste du boulot et le font très bien : l’école de voile de la Nautique forme de vrais voileux et même quelques champions. Nous adorons nous accorder.

Quel est le portrait robot de celui qui met son bateau à disposition ?

Les prêts et les dons d’embarcation sont d’abord portés par une forme de fidélité – parfois de piété filiale – à ces objets particuliers que sont les bateaux : si mon grand-père a aimé ce bateau, s’il l’a mille fois réparé et cent fois repeint, il ne peut pas mourir, il ne peut être vendu, je ne m’en servirai plus mais je ne veux pas qu’il disparaisse ; c’est sur ce mode là que la plupart des cadeaux nous arrivent.

Le manque de place vient bien entendu activer ces initiatives : c’est tellement encombrant et il y a toujours un bricolage à faire. Certains des dons sont aussi purement militants, nous aimons ce que vous faites alors, voilà, mon bateau est à vous parce qu’il rendra des gens heureux ne serait-ce qu’une heure. Et peut être aussi l’âge : je n’y arrive plus, c’est lourd à remonter sur la plage, mes enfants sont partis et seul je ne peux pas ; prenez le.

Quels styles de bateaux pouvez-vous proposer ?

Soyons objectifs : le vieux clou demeure l’archétype du bateau-Bateauthèque ! la plupart ont plus de 30 ans et alors ? Nous avons un quinzaine de kayaks de mer, un stand-up paddle, plusieurs catamarans – dont un très bon Dart 18 – et des dériveurs, optimist, 320, 420, Laser, Zéphyr…

Mais seules peuvent les emprunter les personnes qui maîtrisent déjà la voile de manière autonome. Nous avons enfin beaucoup plus de planches à voile plutôt anciennes, il faut le dire. Bien entendu, la Bateauthèque fournit tous les équipements ; gilets de sauvetage, combinaisons pour l’hiver, chaussons, pochette-téléphone étanche…

« Faites que ce bateau passe devant ma fenêtre »

En quinze ans, avez-vous eu de belles histoires ?

Chaque bateau chez nous a son histoire et toutes nous touchent. La plus poignante est probablement celle de notre grand catamaran qui nous a été confié par Uwe, grand homme s’il en est, vieux petit garçon juif-allemand réfugié en Angleterre, devenu professeur éminent à Oxford et conseiller de la Reine qui, avec tout la dignité dont il était empreint et les yeux mouillés quand même nous a dit un jour « ce bateau est celui de ma fille Polly, voileuse émérite, elle a eu un accident de voiture et je ne la verrai plus jamais naviguer ; s’il vous plait, faites que ce bateau passe devant ma fenêtre ».

Personne parmi nous ne savait barrer un tel bateau. Et bien soit, j’ai donc dû apprendre à faire du catamaran. On nous a un jour imploré de prendre en charge un superbe kayak, une pièce rare en toile et bois entièrement fait à la main ; un bateau pour ainsi dire inutilisable tant il est précieux. Il avait une histoire : le grand père l’avait construit et. Nous étions bien embêtés : qu’en faire ?

J’ai posé une condition : nous prendrions le bateau si et seulement si, on couchait sur le papier sa genèse. deux jours plus tard, une monographie complète, texte poignant photos incluses nous parvenait. Devinez où est le bateau… Nous avons aussi Albert, notre délicieux vétéran, qui depuis 15 ans met un point d’honneur à régler sa cotisation et qui n’a jamais navigué. Je crois qu’il nous aime.

Mais surtout nous avons en tête les images jamais éteintes de ces sourires et de ces yeux brillants par centaine, de personnes qui n’avaient jamais osé monter sur un bateau et qui, revenus au bord, disaient par leur seul visage « c’était aujourd’hui, je l’ai fait, c’est un beau jour dans ma vie ».

L’étang de Bages est-il le site idéal pour votre concept ?

L’étang de Bages est un site inépuisable en termes d’émotions. Le vent et la lumière lui donnent mille teintes en un seul jour ; certains pensent qu’un plan d’eau fermé est vite ennuyeux. Je n’ai jamais fini d’en faire le tour et ne connait personne qui puisse dire l’avoir fait. Ce n’est pas un plan d’eau facile du fait de la fréquence et de la force du vent mais qu’à cela ne tienne : on adapte les buts de navigation, et parfois on ne sort pas. Et cela reste un plan d’eau fermé : on ne sera pas emporté au loin.

Mais fondamentalement c’est un lieu de découverte et d’une richesse exceptionnelle non seulement sur le plan du paysage mais aussi de la faune, de la flore et – au-delà – de l’histoire et de la géographie ! Se souvenir que là était un des principaux ports romains de Méditerranée et que de nombreux vestiges en sont demeurés ; comprendre aussi que cet étang n’a que quelques siècles et que c’était jusqu’au XIVe siècle et au-delà, l’estuaire de l’Aude : fantastique démonstration de la plasticité de ce milieu naturel que nous adorons raconter.

Le prochain projet de la Bateauthèque (nous espérons pour 2024) et en partenariat avec le Musée NarboVia, sera la création d’un petit centre de découverte faune-flore-histoire de l’étang nommé «Bages-Lagune»où chacun pourra avoir un aperçu et un commentaire très accessible de ce qu’il a sous les yeux… c’est en cours !

« Bages et l’étang sont le centre et le tout »

Qui sont les gens qui viennent profiter de ce que l’association propose ?

La sociologie de la Bateauthèque nous fait le cadeau de sa diversité. Beaucoup d’appels téléphoniques commencent par « je ne suis pas d’ici, est ce que j’y ai droit ? » et cela nous surprend toujours. Tout le monde y a droit, d’ici ou d’ailleurs, riche ou pauvre, expérimenté ou béotien. Ce mélange nous ravit ; les conversations sont fluides entre des personnes qui ailleurs ne se seraient probablement pas croisées.

Un tiers environ du village de Bages a un jour ou l’autre navigué chez nous et c’est une grande satisfaction mais beaucoup de nos adhérents viennent de plus loin et ils ne sont pas moins assidus. Une chose unit probablement les motivations de cet assemblage inhabituel : on sait qu’ici ce sera chaleureux et facile, sans jugement mais bien sûr aussi sans record autre que ces petites victoires sur soi-même : « je l’ai fait ! ».

Vous attendiez-vous à tenir aussi longtemps et à connaître un tel succès ?

Paradoxalement cette question ne s’est pas trop posée pour deux ou trois motifs au moins : Le modèle économique de la Bateauthèque est tellement fruste qu’il en devient terriblement robuste : nous ne demandons rien ou presque à la collectivité. Nous sommes donc exempts de toute dépendance et n’avons aucune difficulté à faire face à nos charges et nous en sommes fiers.

Il est dans notre nature d’être toujours stupéfaits et contents de ce que nous avons de sorte que nous n’avons jamais de mauvaises surprises : nous étions émerveillés lorsque nous avons atteint 200 sorties par an, nous sommes ébahis d’avoir atteint 700 quelques années plus tard mais nous ne serons même pas inquiets si une année voit la fréquentation baisser de moitié. Cela ne s’est jamais produit.

La merveilleuse vague de sympathie qui nous accompagne fait que l’avenir n’a rien d’effrayant. La Bateauthèque est une chose minuscule et précieuse en dépit des rustines dont elle est pétassée : qu’elle le reste ; rien d’autre n’est indispensable. Une fragilité enfin : tout cela ne fonctionne que si on lui consacre du temps. Beaucoup… Quelqu’un aura-t-il un jour envie de prendre la suite ?

Vantez-vous l’histoire et les atouts de Bages et son étang ?

Oh oui ! je vous renvoie supra au projet « Bages-Lagune » : c’est central pour nous. Les bateaux ne sont que des supports à nos activités et à quelques jolis rêves. Bages et l’étang sont le centre et le tout.

Contact : bateautheque@schemas.fr
06 80 02 39 84

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