Lumière sur : Thierry Bonnier, préfet de l’Aude

access_time Publié le 01/09/2023.

C’est un portrait exceptionnel auquel nos lecteurs auront droit cette semaine. Thierry Bonnier, actuel préfet du département de l’Aude, deviendra à compter du 11 septembre préfet des Pyrénées-Orientales. Avant son « déménagement », Thierry Bonnier nous a accordé un entretien exclusif où le préfet audois se livre sur sa vie et sur son parcours. Une rencontre marquante, avec un homme particulièrement brillant qui gardera l’Aude dans son cœur.

Monsieur le préfet, merci à vous de nous consacrer cet entretien, on sait que c’est une période un peu particulière pour vous avec votre prochaine nomination dans les Pyrénées-Orientales.

Cela fait partie intégrante de la vie de préfet. On sait que l’on reste en poste dans le même département en moyenne deux à trois ans, parfois plus. C’est une fonction où il faut être très mobile dans le but de garantir le bon fonctionnement de l’Etat au sein des départements. C’est un rôle à la fois essentiel et plutôt méconnu. Récemment au cours d’un déplacement, j’ai évoqué la fonction de préfet pendant de longues minutes devant un large public, et il se trouve effectivement que tout le monde « connaît » les préfets, mais beaucoup moins leur fonction et leur champ d’action.

Justement, comment décririez-vous la fonction de préfet ?

Un préfet est un haut fonctionnaire qui est le plus haut représentant de l’Etat dans un département ou dans une région. Il existe également la fonction de préfet de région qui est un peu différente. Un préfet est dépositaire de l’autorité de l’Etat, il veille à l’application des mesures gouvernementales dans sa juridiction et au respect des lois en vigueur. Il dirige également les services de l’Etat dans le département où il est nommé. Il doit en priorité garantir la sécurité et la protection des populations, ainsi que l’ordre public en général.

Vous êtes natif de Gonesse dans le Val-d’Oise en Île-de-France, pourriez-vous résumer votre parcours jusqu’à la préfecture audoise ?

Cela risque d’être assez long, je vais essayer d’être le plus bref possible ! Il faut savoir que je suis quelqu’un de très curieux. Je m’intéresse à beaucoup de choses et notamment la musique. Mes parents qui étaient d’origine alsacienne m’ont rapidement initié à l’accordéon. Mais à l’adolescence je me suis vite rendu compte que ce n’était pas l’idéal avec les filles (rires), j’ai donc opté pour la guitare principalement puis la batterie. Je jouais notamment dans un groupe et on avait même été diffusé à la radio. De la musique d’inspiration Jazz Rock et Blues Rock.

– Le préfet nous montre alors des photos sur son téléphone portable où on le voit plus jeune avec son groupe, ainsi que sa collection de guitares –

Comme vous pouvez le constater, j’avais plus de cheveux à l’époque (rires). Et mes guitares sont dans la pièce à côté. Il faut savoir que les préfets vivent au quotidien à la préfecture. Il m’arrive d’en jouer encore parfois. J’ai continué la musique jusqu’à mes 38 ans, à mon entrée à l’ENA. Mais avant cela, j’ai étudié les Langues Etrangères Appliquées à la faculté de Rennes, spécialités anglais et russe.

Et pour la parenthèse, c’est à ce moment là que je me suis rendu compte de certaines inégalités. J’étais fils d’un père d’ouvrier et d’une mère au foyer, un milieu social où il était évidemment compliqué de s’exercer verbalement dans des langues étrangères, même si par écrit je ne rencontrais pas de problèmes particuliers. J’allais par la suite me rendre compte de cette forme de discrimination. Ces difficultés orales en langues auraient pu me jouer des tours.

Pour reprendre le récit, j’ai été également intermittent du spectacle puis j’ai travaillé dans le secteur social, dans l’animation où je tenais un atelier musique. J’ai notamment été directeur d’un service culturel à Villiers-Le-Bel. Puis, je suis resté quelques années directeur régional en Île-de-France de l’association de formation STAJ (Service Technique Activités Jeunesse, ndlr). J’espère que vous arrivez à suivre (rires) !

En parallèle, j’étais également ce qu’on appelait un « mac maniac », on emploierait le terme « geek » aujourd’hui. C’était les grands débuts de l’informatique avec les premières disquettes. J’étais un vrai féru de ces nouvelles technologies. Je faisais même quelques démonstrations à des Apple Expo à l’époque, ça me permettait de gagner un peu d’argent en plus.

C’est lors d’une de ces exposition d’ailleurs que j’ai pu rencontrer le rédacteur en chef du magazine « Univers Mac », qui traitait de l’informatique et de la musique. On m’a alors proposé de tenir une rubrique en tant que pigiste au sein du magazine. Je ne me sentais pas particulièrement légitime de le faire au début, je n’avais aucune expérience dans le monde de la presse.

Mais j’ai finalement accepté en tant que passionné aussi bien de musique que d’informatique. En plus, cela me permettait de tester en avant-première et gratuitement les nouveaux logiciels qui sortaient. C’était vraiment pour le plaisir et vraiment une belle expérience.

Ainsi l’année suivante, je me lance en classe préparatoire pour l’ENA, au centre de formation du Ministère des finances. Ce n’était vraiment pas prévu. Mais sur les conseils d’un très bon ami qui m’a largement incité et conseillé à tenter ma chance au 3e concours d’entrée de l’ENA, je m’y suis donc préparé en conséquence.

Mais la première année de prépa sera particulièrement difficile, surtout d’un point de vue personnel. Ma mère se verra diagnostiquer un cancer des os cette année-là. C’est une année où je n’aurai pas vraiment la tête aux études mais plutôt à m’occuper d’elle jusqu’à son décès. Evidemment les notes ne suivront pas, dans un premier temps. C’était une période particulièrement compliquée à gérer, vous vous en doutez.

La deuxième année sera bien plus positive en termes de résultats. Notamment grâce à un travail acharné, je ne m’arrêtais presque jamais. Je termine au final major de la préparation. Avant de pouvoir entreprendre l’ENA l’année suivante.

Vous faites ainsi donc partie de la promotion 2001 « Nelson Mandela ».

Tout à fait. Nous sommes en 1999, là aussi une anecdote particulière : les étudiants choisissent les noms de leur promotion et nous avions donc décidé de porter le nom de Nelson Mandela. Il est rare que des promotions portent le nom de célébrités toujours en vie.

C’était notre cas, nous avions voté au début de l’année 2000, et au mois de décembre de la même année, « Madiba » était venu en France, il n’était alors plus président d’Afrique du Sud, mais il était venu nous saluer. Attendez, je vous montre la photo.

– Le préfet nous montre alors la photo sur son téléphone (photo à retrouver ci-dessous) –

Un moment particulièrement émouvant de pouvoir rencontrer un tel personnage. D’autant plus que nous choisissons le nom de notre promotion en fonction de ce qu’il représente. Et rencontrer Nelson Mandela en chair et en os, c’est quelque chose que l’on n’oublie pas.

Nelson Mandela, assis au centre de l’image, était en déplacement en France en décembre 2000. Saurez-vous retrouver Thierry Bonnier ? Un indice : il se situe légèrement en haut à gauche de « Madiba ».

Je termine donc l’ENA en milieu de classement de ma promotion. Ce classement final permet de faire des choix en fonction de votre rang. Mieux vous êtes classés et plus tôt vous pouvez faire vos choix de carrière. Je deviens donc administrateur civil de 2ème classe affecté au ministère de l’intérieur, puis je suis contacté quelques mois plus tard pour devenir sous-préfet, directeur du cabinet du préfet de la région Limousin, préfet de la Haute-Vienne.

Sans revenir sur l’intégralité de mon parcours où j’ai pas mal voyagé dans toute la France, après avoir été conseiller « Intérieur » du directeur général de la gendarmerie nationale, j’ai été sous-préfet dans le Loir-et-Cher où je resterai quelques années.

Je repasserai par l’ENA mais cette fois en tant que secrétaire général avant d’exercer à nouveau les fonctions de sous-préfet en Haute-Garonne puis dans les Hauts-de-Seine. En 2017, je deviens directeur de cabinet de la ministre Jacqueline Gourault auprès du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb.

Enfin, je serai nommé préfet de l’Indre en 2018, puis de l’Aude le 8 mars 2021. Et je serai donc préfet des Pyrénées-Orientales à partir du 11 septembre 2023.

Quel parcours ! Dites-nous en plus sur l’activité de préfet au quotidien, à quoi ressemble une journée-type de la vie d’un préfet ?

Là aussi, il faut savoir que l’on est préfet H24 et sept jours sur sept. Il y a des périodes plus ou moins tendues en fonction de l’actualité ou de la situation. Le préfet est le chef d’orchestre qui va faire en sorte de coordonner les différents services pour la résolution d’une crise ou l’application des mesures votées par le gouvernement.

La première des choses est de faire le point avec les différents services de la situation du département. Il faut ensuite être prêt et paré à l’impossible. On ne peut jamais prévoir les crises mais on doit toujours agir. La plan Sater par exemple (Sauvetage Aéro-Terrestre) prévoit le crash d’un avion dans le département afin de pouvoir réagir de la façon la plus optimale. Il est évidemment très peu probable qu’un tel événement survienne, mais nous devons être préparés à cette éventualité.

Heureusement, un préfet ne travaille pas tout seul, il est grandement aidé par quatre sous-préfets du département et les différents services qui quadrillent l’ensemble de l’Aude. Le rôle du préfet n’est pas uniquement sécuritaire, il y a également des réunions de travail sur l’aspect social, environnemental, économique, en mettant notamment en relation différents organismes entre eux pour répondre aux problématiques.

Nous cherchons évidemment à valoriser le territoire, en allant sur le terrain, en rendant visite à des associations ou des entreprises pour mettre en lumière leur travail au quotidien. Le préfet et l’Etat qu’il représente, ne sont pas là pour chercher des problèmes mais pour trouver des solutions.

Vous nous quittez dans quelques jours, que retiendrez-vous de votre passage dans l’Aude ?

J’ai un vrai attachement pour ce territoire, avec son potentiel historique, économique, culturel, gastronomique… J’ai en mémoire la venue du président de la République Emmanuel Macron en 2021, à Saint-Gauderic au 4ème régiment de la Légion étrangère. C’est à ce moment que j’ai pleinement pris conscience de l’injustice vécue par les agriculteurs de ce secteur qui avait perdu quelques années plus tôt l’ICHN (indemnité compensatoire de handicap naturel) versée dans le cadre de la politique agricole européenne.

Venu quelques semaines plus tard, j’ai vu un agriculteur pleurer. Ce sont des moments qui prennent aux tripes. Grâce à une mobilisation de tous et notamment de la chambre d’agriculture et de la communauté de commune Piège Lauragais Malepère la majorité des agriculteurs concernés a pû bénéficier d’une mesure compensatoire à cette perte d’indemnité.

J’ai beaucoup d’estime pour ces gens qui cherchent à s’en sortir malgré leurs difficultés. J’ai également été invité à une réunion du syndicat des vignerons audois. Là aussi nous avions eu par le passé plusieurs échanges « tendus » mais ils m’ont dit que j’étais le premier préfet audois à être invité. C’est vraiment quelque chose de fort humainement.

Préfet ce n’est pas qu’un métier, c’est surtout une vocation. Et même si tout n’est pas parfait et que l’on ne peut pas toujours tout résoudre d’un coup de baguette magique, nous faisons du mieux que nous pouvons dans le temps imparti. Ce n’est également pas forcément facile à gérer pour nos familles. Ma fille à 7 ans avait déjà connu cinq déménagements. De même, j’ai appris ma nomination dans les Pyrénées-Orientales un soir au restaurant à 21h30.

J’ai pris contact avec mon successeur Christian Pouget pour faciliter la transition. Les préfets sont nommés par le président de la République, sur proposition du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur. Nous sommes des serviteurs de l’Etat et devons être prêts à ces évolutions. Cela fait partie intégrante du métier, même si je ne vais pas très loin.

Pour conclure, que peut-on souhaiter à Thierry Bonnier pour la suite ?

Pour être très honnête, j’envisage avec ma femme d’acheter une maison dans l’Aude à moyen terme. Nous aimons beaucoup ce département, entre terre et mer, avec des gens vrais et attachants qui disent ce qu’ils pensent. Nous avons commencé à prospecter par ci par là… Plutôt du côté du littoral pour nous y installer définitivement même si l’heure n’est pas encore à la retraite !

Sur cette photo, transmise par Thierry Bonnier, on peut apercevoir Jean Castex ex-Premier ministre et ami du préfet audois, tenir un conseil des ministres par visio-conférence au sein même de la préfecture carcassonnaise.

Curriculum Vitae de Thierry Bonnier :

ÉNA – École nationale d’administration, promotion Nelson Mandela, 2001

CSET III – Cycle supérieur d’études territoriales

IHESI – Institut des hautes études en sécurité intérieure – 15ème session nationale, 2003

CFPP – Centre de formation du Ministère des finances – Prépa. ENA, 1997/1998

INFAC – Institut national de formation des animateurs de collectivités – DEFA, Diplôme d’animateur de collectivités – spécialisation psycho-gérontologie, 1987

Université de Haute Bretagne – Rennes 2, Langues étrangères appliquées niveau DEUG, 1981

Parcours professionnel :

1985 : Animateur-éducateur, club de prévention spécialisée à Fougères (Ille-et-Vilaine),

1987 : Responsable adjoint, service culturel, mairie de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise),

1989 : Directeur régional, association de formation STAJ Ile-de-France (Paris),

1997 : Préparation ENA (CFPP, Paris),

01/01/1999 : Scolarité à l’ENA (Promotion « Nelson Mandela »),

01/04/2001 : Administrateur civil de 2ème classe affecté au ministère de l’intérieur,

08/06/2001 : Sous-préfet, directeur du cabinet du préfet de la région Limousin, préfet de la Haute-Vienne,

14/07/2002 : Conseiller « Intérieur » du directeur général de la gendarmerie nationale,

29/07/2004 : Sous-préfet, secrétaire général de la préfecture de Loir-et-Cher,

03/11/2011 : Secrétaire général de l’ÉNA,

08/06/2012 : Secrétaire général de l’ÉNA, chargé par intérim des fonctions de directeur de l’École nationale d’administration,

17/12/2012 : Sous-préfet hors classe, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Garonne,

19/10/2015 : Sous-préfet hors classe, secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine,

27/06/2017 ; Directeur de cabinet de la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. En outre, directeur adjoint de cabinet du ministre d’État, ministre de l’intérieur,

10/11/2018 : Préfet de l’Indre,

08/03/2021 : Préfet de l’Aude.

Décorations :

– Chevalier de la Légion d’honneur

– Chevalier de l’Ordre national du mérite

– Officier dans l’Ordre national du mérite agricole

– Médaille de bronze de la jeunesse et des sports

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