«Une impact dévastateur sur le monde du spectacle»

access_time Publié le 01/05/2020.

Basée à Villegly, l’association Music’al Sol, qui oeuvre au développement des musiques actuelles sur le département, est au premières loges en ces temps de crise pour évaluer les répercutions qu’elle aura sur le monde du spectacle.

Sa présidente, Claire Pujol, rompue à toutes les facettes du secteur, dresse un tableau de la situation et de ce que pourrait être demain. Notamment pour les intermittents.

Quelle répercussion a sur les artistes locaux la crise sanitaire ?
Cette crise sanitaire va avoir un impact dévastateur sur notre secteur, que ce soit du côté des organisateurs, ou des artistes, et des prestataires événementiels. Aujourd’hui tous les événements sont annulés, les organisateurs ne sont pas en mesure financièrement de maintenir le paiement des contrats et des prestations… Tout le système s’écroule… Localement, nous sommes une région très touristique avec une énorme activité culturelle estivale. Nous allons donc être d’autant plus impactés localement par cette crise, puisque de nombreux·ses artistes font leurs «dossiers» sur les mois de juin, juillet et août…

Sentez-vous beaucoup d’inquiétude ?
L’inquiétude aujourd’hui quant à leur avenir est plus que palpable, les artistes commencent à comprendre que l’année qui vient va être terrible, entre celles et ceux qui vont perdre leur «dossier» car ils n’arriveront pas aux fameuses 507h, nécessaires au maintien de leur intermittence et les autres qui vont voir leur taux d’indemnisation journalière descendre au plus bas et qui se demandent comment ils vont bien pouvoir payer les crédits de leurs maisons avec de telles baisses de revenus. L’inquiétude se transforme jour après jour en angoisse pour l’avenir.

«100 % de perte de nos revenus d’activité»

Un décret sur le chômage partiel des intermittents vient d’être publié…
Ce décret, tant attendu pour le secteur, est hélas incomplet.Il valide la possibilité de mise en chômage partiel pour les intermittents·du spectacle, atteste qu’une journée de travail, appelée cachet dans le jargon professionnel, initialement comptabilisé 12h pour un·e artiste, se transformera en 7h de travail en chômage partiel. Mais il ne donne pas les informations permettant aux employeurs de le mettre en place, puisqu’à ce jour, nous attendons toujours un autre décret qui nous détaillera les cotisations sociales qui devront apparaître sur les bulletins de salaire. Ce décret en plus d’être incomplet est donc très insatisfaisant. La pression et l’angoisse montent de toute part.

Votre statut d’organisatrice de spectacle est-il durement impacté ?
L’organisation de spectacle est l’activité principale de Music’al Sol et pour l’instant nous venons d’annuler trois de nos festivals: L’Agit’al Sol, le Conqu’en Oc et le Boleg’al Sol, ce qui correspond à la moitié de notre activité de diffusion en milieu rural… Et j’avoue qu’à ce jour, nous commençons à avoir des doutes quant à ceux que nous sommes censés organiser à la rentrée et à l’automne… Des évènements de septembre commençant déjà à annoncer leurs annulations…Nous espérons que les institutions nous soutiendront dans cette période difficile – où nous allons perdre 100% de nos revenus d’activité – en maintenant réellement les subventions qui devaient nous être octroyées que nos évènements aient lieu ou pas.

Le sport essaie de miser sur le report. Pour le monde artistique, ce sont davantage des annulations, non ?
Cela dépend vraiment des situations… Est-ce que l’organisateur a un lieu déterminé ? Est-ce un festival annuel, est-ce une saison ? Les groupes programmés, sont-ils locaux, nationaux, internationaux ? Une tournée artistique et une programmation festivalière se mettent en place dans un contexte de saisonnalité, mais aussi d’actualité artistique, de frontières ouvertes. Pour les festivals de mai et juin, les lignes artistiques étaient trop spécifiques (festival à 100% occitan) pour pouvoir être reportées sur nos festivals de l’automne, qui ont une autre couleur musicale, nous allons essayer de reporter la même programmation en 2021, mais nous ne savons pas encore à ce jour, si ce sera vraiment possible pour tout le monde…

«Les derniers à reprendre»

Une saison blanche en matière de festival est-elle un coup porté aux artistes, troupes, etc… ?
C’est en effet un coup terrible porté à notre secteur dans son intégralité. On parle déjà assez peu des artistes, mais encore moins des organisateurs, des équipes techniques, des prestataires divers et variés qui gravitent autour de l’évènementiel…
Et encore moins de l’impact positif des festivals sur notre économie locale. Il est impossible aujourd’hui de connaitre l’ampleur du désastre que cette crise va représenter, mais il est sûr que notre secteur n’en sortira pas indemne en termes humains, financiers mais aussi en de création artistique, de diversité culturelle et d’équité territoriale…
Les «petits» seront les premiers à fermer boutique ou à changer de métier car ils n’auront pas d’autres solutions. Je m’inquiète moins pour les grosses structures ou les stars qui trouveront toujours des solutions économiques, voire qui les ont déjà sur leurs comptes en banque !

Ne craignez-vous pas que le monde du spectacle soit le dernier servi en terme de déconfinement ?
Ce n’est hélas pour nous plus une crainte, mais un simple constat : nous avons été les premiers à devoir stopper nos activités évènementielles et nous serons les derniers à reprendre, c’est évident. Et même si c’est désagréable, c’est compréhensible aux vues des risques de propagation du virus qui peuvent exister sur nos évènements. Le problème est de n’avoir aucune visibilité quant à une période de reprise. Nous continuons à attendre un «miracle» pour reprendre en septembre, mais ne nous voilons pas la face : la population ne sera pas suffisamment immunisée pour reprendre la vie d’avant et il faudra donc maintenir les mesures barrières.

«Sauver le secteur culturel français»

Le statut d’intermittent est-il grandement menacé pour certains ou certaines branches spéciales ?
A ce jour, si le gouvernement ne fait pas évoluer ses décisions quant à l’intermittence du spectacle, nombreux seront celles et ceux qui ne s’en relèveront pas. Autant au niveau artistique que technique. Nous sommes tous interdépendants et tous sur le même bateau.. Tout le monde va être impacté : les petits groupes et les stars, les petits prestataires et les grosses boites techniques ou de prod…
La seule différence sera financière puisque les plus gros ou les plus financés par l’argent public auront eux la trésorerie pour assurer de «vraies dates» à leur équipes, lesquelles auront donc moins de risque de perdre leurs intermittence…

Que pensez-vous de la proposition en la matière de Samuel Churin ?
Personnellement, mais comme un grand nombre de mes collègues, nous pensons que le gouvernement devrait suivre les recommandations portées par le collectif autour de Samuel Churin, comédien et tête de pont des recommandations professionnelles portées par le mouvement «culture en danger» en 2003.

La solution la plus efficace pour sauver le secteur culturel français est de mettre en place (comme en 2003) une «année blanche» où tous les intermittents voient leurs droits maintenus quel que soit le nombre d’heures à leurs compteurs…

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