Un Narbonnais dans le Grand Nord canadien : « Une folle parenthèse de vie »

access_time Publié le 24/11/2024.

De Narbonne au Grand Nord canadien, la drôle de trajectoire de Brice Ivanovic, ce touche à tout de la presse. Le voilà désormais journaliste sur le territoire du Nunavut. Rencontre.

D’abord, pourquoi être parti au Canada ? 

Je suis arrivé fin 2023. Je tournais un peu en rond dans ma vie parisienne, j’étais en manque d’espace, manque de nature, et ma vie professionnelle connaissait un petit coup d’arrêt. Ma conjointe était prise en cotutelle pour son doctorat en littérature à l’Université du Québec à Montréal et j’ai donc décidé de tenter l’aventure moi aussi.

Comment se retrouve-t-on à Iqaluit, carrément au bout du monde ? 

Depuis tout petit, les régions nordiques me font rêver. Le cercle polaire, la neige, la glace, le froid… Si je ne me sentais pas bien à Paris, disons que ça n’a pas non plus matché avec une autre grande métropole comme Montréal. Ce que j’aime, c’est être dehors, respirer, vivre dans un rythme sain, profiter de la nature, observer la faune, m’évader quand je le veux. Je suis rapidement parti plus au nord du Québec, à 5h de Montréal, au Lac Saint-Jean. J’y ai passé une grosse partie de l’hiver à entraîner et m’occuper d’une quinzaine de huskies dans une petite structure de chiens de traineau. Je prenais soin des chèvres, des poules et des chevaux aussi. La saison fut exceptionnellement douce, me laissant sur ma faim dans ma quête de grand froid. Puis c’est là que l’idée a commencé à germer dans ma tête : partir au plus près du pôle.

Vous avez répondu à une annonce ? 

J’avais mis ma carrière journalistique entre parenthèse suite à un burn-out. Mais j’avais du mal à me faire une raison, à me dire que c’était mon choix d’avoir tiré un trait définitif. J’ai donc déposé des CV un peu partout, à Montréal d’abord au sein de grands médias mais aussi auprès d’agence de placement, Grand Nord compris, avant de reprendre un peu de piges pour des médias français. Mon téléphone sonnait pour ce poste de rédacteur en chef. Je crois que c’était au mois de mai. Après un petit temps de réflexion et de concertation, j’ai dit oui. Réaliser ses rêves, ça ne se refuse pas.

« J’apprenais à me redécouvrir »

Quand on se renseigne sur Iqaluit, on hésite quand même à partir ? 

On hésite et pas qu’un peu. C’est un gros bouleversement dans une vie. C’est isolé, accessible uniquement par avion dix mois sur douze. Le logement est excessivement cher, la nourriture aussi. En fait, tout est exorbitant. Il y a aussi la distance à gérer avec ses proches, la solitude… Le Nunavut est un territoire jeune dans son existence officielle et politique, mais avec des grandes blessures coloniales. Les jeunes Inuit étaient envoyés de force par le gouvernement canadien dans des pensionnats qui ont pris fin dans les années 80/90, il y a eu des milliers de morts. La relocalisation forcée durant la guerre froide a laissé des traces également. C’était hier et les plaies sont encore à vif. Donc il y a toujours cette question qui revient sans cesse avant de partir : comment m’intégrer dans ce contexte ?

Quelles ont été les premières impressions ? 

D’abord émerveillé par cette approche en avion. Tu vois les iceberg dériver dans l’océan, les petites îles vierges de toute présence humaine. Puis il n’y a plus d’arbre, nous sommes au nord de la limite nordique des arbres. Ici, il n’y a que le la mousse et des petits buissons dans la toundra. C’était une grande bouffée d’oxygène, l’été commençait à tirer sur la fin. J’ai été rapidement dépaysé par la luminosité. Fin août, le soleil se couche vers 21/22h et se lève à 4h du matin. La solitude n’était pas simple, mais j’apprenais à me redécouvrir en allant marcher au bord de l’océan arctique, en courant aussi. Puis j’ai rapidement pris mes fonctions, ça n’a pas été de tout repos, il fallait assimiler beaucoup de choses. Mais ce qui m’a le plus marqué je pense, c’est un certain contraste sur les visages. Des sourires parfois, on te salue. Mais aussi de la détresse, de la méfiance. Il y a beaucoup de pauvreté et de grandes inégalités entre les travailleurs venus du « sud » et les locaux. Les questions d’alcool, de violence… tout est perceptible. C’est assez dur, surtout pour un hypersensible comme moi.

Le froid, la nuit, n’est-ce pas trop dur à supporter ? 

Je suis venu chercher le froid, il s’installe doucement. Peut-être un peu trop à mon goût, la glace a du retard. Après des mois au-dessus des normes, le mercure a enfin décidé d’aller en dessous durant une semaine. On a eu nos premiers -20, j’étais comme un poisson dans l’eau. Il suffit juste d’être bien équipé. La nuit, c’est un peu plus difficile. Nous sommes à encore un mois du solstice, mais le jour se lève autour de 8h et il fait nuit noire à 15h. À 13h, c’est comme si c’était le soir. Dans quelques semaines, nous aurons 2/3h de jour à peine. Pas de nuit polaire ici car Iqaluit est située à 300 km au sud du cercle polaire. Mais lorsque le temps est dégagé, les lumières sont incroyables. J’ai hâte de vivre un bon -40 en tout cas, et un bon blizzard qui viendra recouvrir ma porte avec un mètre de neige. Bon certes, il faudra déneiger ensuite !

« Ce qui me fascine, c’est la simplicité »


L’actualité est-elle assez riche pour remplir un journal ?

Oui ! C’est un territoire en pleine croissance. Il y a de quoi faire. Notre journal Le Nunavoix est un bimensuel, à destination de la communauté francophone du territoire du Nunavut. Nous sommes à peu près 800 francophones sur 35 000 habitants répartis sur une surface quatre fois plus grande que la France. La majorité vit à Iqaluit, qui compte à peu près 8000 habitants. Avec nos limites mensuelles, nous ne traitons pas d’actualité très chaude, pas de fait-divers par exemple. On parle actualité francophone, enjeux autochtones, culture, environnement… Le Nunavoix est l’unique journal francophone du territoire.

Qu’est-ce qui vous a fasciné ? 

L’immensité, cette nature brute. Iqaluit est devenue une ville désormais, loin de la petite communauté qu’elle était jadis. Il faut donc en sortir pour s’isoler, mais c’est tellement simple et rapide que ce n’est pas un problème. Ce qui me fascine ici, c’est la simplicité. Le savoir-faire inuit, leur langue, leur culture. J’ai commencé à changer mon régime alimentaire. Terminé le bœuf par exemple, que j’ai remplacé par le caribou. Le poisson local, l’omble chevalier, cousin du saumon, est un met incroyable et très riche. Ce sont ces petites choses comme ça qui me fascinent, sans oublier les aurores boréales bien évidemment. En plus nous sommes en plein pic d’activité solaire, autant dire que le spectacle est grandiose presque tous les soirs quand le ciel est dégagé. Je pense que d’autres choses me fascineront encore plus, mais il faudra me recontacter après l’hiver !

Est-ce un projet sur le long terme ou plutôt une folle parenthèse de vie ? 

Une folle parenthèse de vie. J’adore ce moment, mais j’ai une vie de couple aussi. Je viens de faire 30 ans, les années passent vite. C’est une belle expérience qui durera peut-être un, deux ou trois ans. En toute franchise, le sud et son terroir me manquent beaucoup aussi. Je ne m’imagine pas ne pas revenir dans un futur plus ou moins proche.

Propos recueillis par notre correspondant local

Un vrai challenge. A Iqaluit, Brice Ivanovic découvre une nouvelle facette de son métier. "C’est un vrai challenge d’informer en zone nordique. D’abord au niveau des moyens humains, avec un manque de main d’œuvre. Questions techniques aussi, avec une connexion internet laborieuse. Et puis, tout prend un temps tellement plus long pour avoir des réponses dans le cadre d’un sujet, convaincre un interlocuteur de parler… C’est une petite communauté, il y a une certaine tension entre les différentes cultures, beaucoup de rotation d’effectif aussi. Il faut savoir composer avec tout ça."
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