Entretien avec Serge Hoibian, directeur de l’office de tourisme Côte du Midi. L’occasion de dresser un bilan à mi-saison de la fréquentation sur le Grand Narbonne.
Nous sommes début août, quel bilan peut-on tirer de cette première partie de l’été 2025 ?
La première chose à savoir, c’est que nous étions très bien partis depuis le début d’année avec un mois d’avril et surtout un mois de juin extrêmement positifs. On était à +9% de fréquentation au mois de juin par exemple. Ensuite, c’est une évidence pour tout le monde, le mois de juillet est un peu décevant. On affiche une baisse de fréquentation d’environ 6% par rapport à la même période 2024.
Avez-vous des éléments pour expliquer cette baisse ?
Nous avons des éléments d’explications même si cela reste des phénomènes complexes. D’abord, les gens réservent de plus en plus en dernière minute. Et donc la météo influe énormément. Comme nous avons eu un mois de juin très chaud avec une forte canicule, les gens qui n’avaient pas réservé à l’avance ont pu décider de ne pas venir par peur d’avoir trop chaud.
La deuxième chose, je pense qu’il y a quand même une petite incidence vis-à-vis des feux. Cela a pu inquiéter quelques personnes. Ce ne sont pas tellement des craintes d’un éventuel incendie de leur hébergement mais plutôt de se dire « on ne va pas pouvoir circuler comme on veut » ou « toutes les activités de loisirs ne seront pas ouvertes »…
Mais attention, on reste tout de même sur un territoire très touristique. On a la mer, le soleil et une bonne notoriété. On n’est pas en train de dire que c’est une catastrophe, bien au contraire. On continue à recevoir énormément de touristes. On en a 12 millions qui viennent chaque année et 20 millions d’excursionnistes. Ce sont des chiffres très importants.
Le niveau de réservation pour le mois d’août est-il encourageant ?
On devrait plutôt avoir des bonnes nouvelles puisque, pour le mois d’août, les réservations sont quand même plutôt positives. On devrait être à +3% par rapport à l’an dernier qui était déjà un très bon mois d’août.
« Une baisse significative de la consommation depuis 2-3 ans »
Des chiffres plutôt rassurants ?
Oui, bien sûr. Néanmoins, on parle ici des chiffres de fréquentation. Il existe tout de même une autre donnée qu’on a tendance un petit peu à oublier en France, c’est la consommation. On a une baisse significative. Pas seulement cette année, depuis 2-3 ans et c’est une baisse qui est nationale.
En vacances, les gens dépensent donc beaucoup moins qu’avant ?
Oui et cela s’explique par plusieurs choses. Principalement par une inflation forte, installée depuis quelques années. Quand vous avez des prix qui augmentent mais pas votre salaire, vous perdez mécaniquement du pouvoir d’achat. Beaucoup de personnes le constatent. La deuxième chose, c’est qu’il y a quand même une instabilité politique, française comme internationale, et certains ne sont donc pas tellement enclins à dépenser mais plutôt à garder de l’argent de côté au cas où cela tourne mal. Donc on dépense beaucoup moins sur les loisirs et la restauration.
L’époque où les touristes « se lâchaient » en vacances est révolue ?
C’est une certitude : les gens font désormais hyper attention au rapport qualité-prix. C’est vraiment quelque chose qui ressort de toutes les études que nous menons. Un phénomène qui est amplifié avec le digital, les réseaux sociaux. Les gens qui viennent en vacances savent très bien combien coûte un menu au restaurant, combien coûte une location de planche à voile, parce qu’ils peuvent le voir facilement sur internet. Ils sont donc très vigilants et dans une logique d’avoir le meilleur rapport qualité-prix.
La professionnalisation du touriste ?
C’est exactement ça : la professionnalisation du touriste. Donc, c’est sûr que quand au restaurant, le prix est élevé et que le service n’est pas de qualité, qu’il n’y a pas une ambiance particulière, les gens n’y vont plus. Ils sont prêts à payer mais pour avoir des prestations particulières, des produits locaux ou représentatifs de la cuisine locale. Dans les études réalisées, des touristes disent clairement : « Si c’est pour manger exactement ce que je mange tous les jours quand je travaille en région parisienne, je ne vais pas au restaurant. »
« Il faut qu’on trouve le bon rapport qualité-prix pour que les touristes aient envie de dépenser chez nous »
Ce qui voudrait dire que les restaurateurs ont vécu une baisse plus conséquente que les -6% affichés en fréquentation sur juillet ?
Il y a des restaurateurs qui nous disent qu’ils sont sur du -30%. Alors, ce n’est pas tout le monde, mais il y a vraiment une très grosse baisse subie par certains. Cela est assez inquiétant pour la suite parce que les restaurants font vraiment partie de l’attractivité et de l’offre de notre territoire.
Quel levier peut actionner l’office de tourisme pour accompagner ce secteur ?
On souhaite montrer qu’il existe des solutions en ayant un bon service, des ambiances originales, etc. Parce que tout cela, ça joue ! Nous voyons quand même qu’il y a des restaurants de plage qui sont chers et qui marchent. Parce qu’il y a une ambiance particulière qui fait toute la différence.
Les touristes nous disent qu’ils sont en attente de plats qui ont une typicité, qui sont locaux. De la cuisine peut-être plus simple mais plus traditionnelle. Il y a quelquefois une standardisation de la cuisine dans les restaurants. L’exemple le plus parlant, ce sont les desserts. Si vous enlevez le tiramisu, la panna cotta, le fondant au chocolat… Vous n’avez plus grand-chose comme dessert. Aujourd’hui, c’est assez rare par exemple de trouver une bonne et authentique tarte aux pomme !
Il y a, à mon avis, une nécessité d’avoir une évolution de la filière de la restauration dans les prochaines années, qui va être complexe parce qu’on sait bien qu’économiquement pour le restaurateur ce n’est pas facile non plus. Il faut qu’on trouve le bon rapport qualité-prix pour que les touristes aient envie de dépenser chez nous. D’autant qu’en parallèle qu’il y existe aussi des difficultés sur le recrutement du personnel, que ce soit saisonnier ou annuel.
L’office de tourisme multiplie justement les initiatives à destination des saisonniers. C’est devenu une obligation aujourd’hui de « draguer » les saisonniers ?
C’est primordial. Car ils sont en première ligne sur la relation client. Et aujourd’hui, quand on arrive dans un hébergement, quand on mange au restaurant, quand on va sur un site de loisirs, on veut être bien accueilli. On veut avoir quelqu’un qui a le sourire, qui est professionnel, qui parle des langues étrangères. Le problème, c’est que ces profils-là, on a du mal à les trouver. Et on a du mal à les trouver parce qu’on a du mal à les fidéliser. Donc il faut qu’on trouve des solutions.
Pour les faire venir, ça passe d’abord par l’hébergement. Parce que vous imaginez bien que si vous payez 1 000 euros pour un mois votre location, vous ne venez pas travailler. On trouve donc, avec les communes et les professionnels, des solutions pour qu’on puisse loger les saisonniers.
« On va réussir à mieux étaler la saison »
On a aussi mis en place le pass saisonnier. Il permet aux travailleurs saisonniers de bénéficier d’avantages sur des activités et des visites. De se faire des week-ends, des balades et en même temps de découvrir l’offre du territoire. Parce que plus on connaît l’offre, plus on arrive à la vendre.
On voit que les mois estivaux, notamment juillet, ne sont plus aussi prévisibles ni aussi « fréquentés » qu’avant… C’est ce qui oblige les offices de tourisme à désormais travailler sur les ailes de saison, voire sur toute l’année ?
La saison estivale débutait avant à partir de la première semaine de juillet. Puis on est passé au 15 juillet. Cette année, il ne s’est rien passé avant le 25 juillet ! Du coup, on ne peut pas pérenniser une activité touristique à l’année s’il n’y a que du monde pendant un mois. Donc on met en place des stratégies pour qu’il y ait du monde tout le temps. On a une saison qui commence au mois d’avril. Elle se termine quelquefois maintenant fin octobre, parce qu’on a des arrières saisons automnales très sympas où il fait encore beau, où on peut encore se baigner. Avec la période de Noël, et désormais de belles animations à Narbonne, on a des propositions de qualité toute l’année pour que les gens viennent chez nous.
La clef, c’est donc d’avoir une offre touristique étalée ?
Oui. Si on arrive à mettre en place de bonnes ailes de saison, si l’hiver, on a une offre féerique sur Narbonne, on va réussir à mieux étaler la saison et à ne pas se retrouver justement en juillet-août en se disant « mince, en fait, il n’y a plus qu’un mois sur deux qui marche ».
Mais vraiment, il faut qu’on arrive à s’adapter aux changements et la certitude c’est que les touristes changent leur comportement. Il faut qu’on s’adapte pour que les professionnels s’y retrouvent. C’est notre objectif : que l’économie locale, qui dépend fortement de l’économie touristique, se porte bien.
« Il faut savoir nous adapter »
Quels sont les outils que vous utilisez pour mesurer la fréquentation et les changements de comportement ?
On a des outils qui sont des aspirateurs des données de fréquentation pour l’hébergement. On arrive à « se plugger » sur tous les gros sites de réservation ce qui nous permet de savoir, en temps réel, combien il y a de personnes qui ont réservé et qui vont réserver. On s’appuie également sur un système géré par Orange et qui permet, avec les téléphones mobiles, de connaître le nombre de personnes qui viennent chez nous, combien de temps elles restent, d’où viennent-elles, etc. Ce sont des outils qui sont hyper précis qui nous permettent de mieux comprendre les attentes des touristes.
Cela vous permet aussi de savoir quelle clientèle ciblée ?
Notre objectif, c’est de toucher tous les types de clientèles. C’est très bien qu’on ait une clientèle populaire et familiale parce que cela nous apporte beaucoup de monde. Mais c’est nécessaire aussi de séduire un peu plus le haut de gamme. On ne parle pas ici de la clientèle des palaces de la côte-d’Azur, mais des CSP+ avec des moyens assez élevés.
Et pour attirer ce type de clientèle, il faut qu’on s’adapte. Il nous faut proposer de l’hébergement haut de gamme. On commence à avoir des hôtels 5 étoiles comme L’Hospitalet ou le château Capitoul. On commence à avoir des restaurants aussi gastronomiques. Il faut continuer à créer ce petit réseau de belles prestations. Pour que ces gens-là viennent et surtout restent ! Elle commence à se rendre compte que chez nous, il y a un côté apaisé, traditionnel, qu’il n’y a pas forcément ailleurs. On n’est moins urbanisé, sans grosses stations. On a un territoire qui est très préservé avec beaucoup de zones protégées. Et ça, c’est vraiment un vecteur d’attractivité qui est très important. Et qui va l’être de plus en plus. Encore une fois : il faut savoir nous adapter !
Propos recueillis par Arnaud Gauthier
Photo : Serge Hoibian, directeur de l’office de tourisme Côte du Midi.