Mis en lumière par le jeu télévisé « Les douze coups de midi », Paul El Kharrat sera au salon du livre en compagnie de sa maman Sophie. Ensemble, ils ont écrit « Atypiques ! » pour expliquer ce qu’est le syndrome d’Asperger avec lequel vit Paul. Un livre destiné à tous les parents d’enfants autistes.
Tout d’abord, Paul, comment allez-vous ?
Paul : pour le moment, je me porte plutôt bien. D’autant plus qu’il y a des activités fort réjouissantes qui arrivent, donc ça me met plutôt de bonne humeur. Il y a le salon du livre, évidemment parce que j’aime bien aller dans les salons. Je trouve ça très intéressant et très nourricier.
Vous venez à Narbonne dans le cadre du salon du livre. Quel est votre rapport à la lecture ?
Sophie : alors, de mon côté, c’est une nécessité vitale de lire. J’ai toujours lu, j’adore lire, j’adore les bouquins. Ce sont des objets sacrés. Je n’aime pas quand on me les emprunte et qu’on ne me les rende pas. Donc, le livre tient une place très, très, très importante dans ma vie.
Paul : la lecture est un de mes centres d’intérêt, une de mes passions principales. Je considère la lecture comme encore mieux qu’un droit, un devoir inaliénable. Que devrait avoir l’humanité toute entière. C’est vraiment l’ouverture sur des mondes parallèles, sur le passé, sur l’histoire, sur l’imaginaire. Tout ce que l’on désire comme terme de culture, de connaissance, de savoir. Contre l’ignorance. Le livre est quelque chose qui me botte énormément et pour lequel j’ai une certaine adoration, vénération même. Une vie sans livre serait une erreur, un peu comme la musique pour Nietzsche.
« C’est une certitude : le livre sera utile »
Paul El Kharrat
Vous évoquez la lecture pour lutter contre l’ignorance. Est-ce que c’était aussi l’objectif de l’écriture de votre livre : apporter un éclairage, une mise en lumière sur les troubles du spectre autistique ?
Sophie : c’est une petite pierre, pour rester modeste, à l’édifice de la mise en visibilité, à l’acceptation et à la connaissance des troubles du spectre autistique. Mais la motivation, ce sont vraiment les messages que je reçois. Les témoignages que j’ai des familles, des parents, des personnels enseignants, éducatifs, même de santé, sur ce sujet. Donc, c’est le livre que je n’ai pas eu il y a 20 ans et dont j’aurais eu besoin. Tout ce qui m’importe avec ce livre, c’est qu’il soit utile et qu’il contribue à une meilleure connaissance du sujet, bien sûr.
Paul : je vais être plus tranchant que ma mère. Je vais dire que c’est une certitude : le livre sera utile. Il l’est déjà. Ce n’est pas usurper que d’affirmer qu’il est d’utilité publique et que les gens qui le lisent sauront y glaner, y trouver des informations susceptibles de les aider pour mieux comprendre, mieux saisir les tenants et aboutissants de chaque personne porteur d’autisme, qu’il soit un fils, un oncle, un père, un petit enfant. En sachant que la santé mentale est quand même assez primordiale dans ce monde, je trouve que remettre au goût, dans une certaine forme, l’autisme et les troubles d’ordre mentaux, neurologiques ou psychologiques est quelque chose d’extrêmement louable et important. Nous y contribuons à notre échelle.
Sophie, donc pour vous, ça a été un petit peu comme si vous apportiez des conseils à la Sophie du début des années 2000, qui ne trouvait pas de réponse face au handicap de son fils ?
Sophie : oui, tout à fait. On peut même dire avant les années 2000. Parce qu’à cette époque-là, vous vous sentiez vraiment tout à fait abandonnée face aux réponses que la médecine n’arrivait pas à vous donner. En fait, on était globalement dans l’ignorance. Les professionnels l’étaient autant que nous, parents. Ça, c’était grave quand même. Quand on remet en perspective historique les choses, on comprend pourquoi on en était là. Quand vous savez que la thèse de Hans Asperger (qui est le médecin qui a décrit ce type de fonctionnement comme son nom l’indique, NDLR) a été traduite en français seulement en 1998. Vous comprenez qu’on est quand même loin du compte. Les anglo-saxons sont beaucoup plus avancés que nous sur le sujet. Les Américains, les Canadiens et les Australiens sont vraiment beaucoup plus avancés. Mais même pour eux, ce sont des choses qui ont resurgi dans les années 80. Grâce à une psychiatre britannique qui a remis ces travaux au goût du jour. Mais on est vraiment à des années-lumières de l’état d’avancement qu’on pourrait avoir dans ce domaine de la médecine.
« Il y a quand même un vrai progrès »
Sophie El Kharrat
Il y a quand même depuis quelques années une prise de conscience, des plans autisme au niveau de l’État français ?
Sophie : oui bien sûr. Et on peut toujours dire que ce n’est pas assez, qu’il n’y a pas assez d’argent… Ce qui est vrai. Mais l’avantage, c’est qu’ils existent alors qu’ils n’existaient pas il y a seulement quelques années. Ils permettent de financer la recherche, des structures de prise en charge. Donc, il y a quand même un vrai progrès. Mais le problème, c’est qu’on part de tellement loin. Pour rattraper le retatrd, il va falloir du temps et de l’argent. Et quand on voit l’état dans lequel sont les finances publiques… j’ai un peu peur quand même.
On s’aperçoit aussi que l’autisme est mieux perçu par l’opinion publique…
Sophie : la visibilité des personnes porteuses d’autisme est un sujet qui progresse. On l’a vu avec Paul aux « 12 coups de midi ». Lui, il en parle parce qu’il est visible. On voit des émissions très sympathiques comme « Les rencontres du petit papotin » qui passent quand même sur France 2 un samedi soir par mois à une heure de grande écoute. C’est important. On voit bien qu’on en parle de plus en plus. Il y a 20 ans ou 30 ans en arrière, on était loin de tout ça. Quand j’allais voir mon médecin généraliste parce que j’étais fatiguée, en dépression, en lui expliquant que mon fils avait un syndrome d’Asperger, il me demandait de lui expliquer ce que c’était ! Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, Dieu merci ! Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, c’est certain.
« Je suis le principal dépositaire de ma pensée »
Paul El Kharrat
Ce livre va apporter des réponses aux familles, est-ce que l’exercice d’écrire à quatre mains, entre une maman et son fils, a apporté des réponses à votre famille ?
Paul : je pense que le fait d’écrire, de rédiger de façon biographique, ou plutôt autobiographique sur la genèse de la famille El Kharrat, en particulier Paul, a fait qu’on en a pu se rendre compte dans quel environnement il est apparu, il a évolué et il a été éduqué et comment lui-même a perçu la chose, et comment lui-même s’est auto-éduqué aussi. Donc ça fait qu’il y a évidemment un intérêt à lire et à écouter le discours de sa propre mère, mais aussi de venir contribuer par l’affirmative ou par la défensive sur ce qui peut être raconté sur ma vie. Car au final, le dernier mot m’est indubitablement attribué, vu que je suis le principal dépositaire de ma pensée, de mes sentiments vis-à-vis du monde et de la société dans laquelle j’évolue. Donc, il n’y avait pas de volonté de combattre les idées ou les pensées qui animent ma mère, parce que je ne suis pas à sa place non plus. Mais il y avait le but de réagir et de répondre de façon linéaire à ce qui a pu être apporté, évoqué par sa propre mère et dire ce que l’on ressent. C’est quand même assez important de superposer les deux versions.
Est-ce qu’au final ce n’est pas ce qu’il y a de plus difficile, de plus compliqué dans les syndromes autistiques : de faire comprendre ce que vous ressentez et comment vous appréhendez et vous ressentez les choses de ce monde, de cette société ?
Sophie : ce qui est très, très difficile, c’est le handicap invisible. Comme on ne le voit pas, on ne comprend pas ce qui se passe et on ne peut pas s’ajuster en fonction. Donc quand vous avez un handicap physique, une personne en chaise roulante, une personne malvoyante, on sait très bien comment se comporter pour l’aider, comment se positionner… Sur les handicaps invisibles, on ne le voit pas. Donc déjà, on n’est pas averti. Vous avez des parents qui me disent : « On m’a dit toute ma vie que mon enfant était mal élevé. » Parce qu’il ne peut pas se comporter comme attendu par la société, avec des codes sociaux de politesse, d’empathie, de tout ça. Et donc ça, c’est un vrai problème que de faire comprendre ce qui se trame. Et de faire comprendre ce qui se passe dans leur tête et en réponse savoir comment il faut se comporter. D’où l’importance d’avoir le diagnostic le plus tôt possible.
Parce que non, les enfants ne sont pas mal élevés. C’est juste qu’ils ont une structuration neurologique différente qui leur fait appréhender le monde d’une façon différente et qui ne leur permette pas de tout décoder et de tout acquérir naturellement par mimétisme depuis la prime enfance. Il faut que les gens comprennent que c’est un vrai handicap que de ne pas de maîtriser les codes sociaux, d’être en hypersensibilité en permanence, d’être en « hyperfatigabilité » en permanence et de parfois être en surchauffe parce qu’on est en suradaptation permanente.
« Il nous faudrait nous adapter »
Sophie El Kharrat
Dans une société qui évolue très vite où de plus en plus de personnes ont du mal à comprendre les nouveaux codes justement, est-ce que les porteurs de troubles autistiques n’ont pas un train d’avance sur cette capacité à évoluer dans une société sans en comprendre tous les codes ?
Sophie : peut-être mais vous savez la souffrance des gens qui ont un train d’avance ? Tous les visionnaires ont été rejetés par la société dans laquelle ils étaient. Aujourd’hui, on est une société de neuro-typiques, c’est-à-dire de gens qui maîtrisent les codes majoritaires et qui sont élevés comme ça. Imaginez que demain, dans un monde pas si lointain, les personnes atypiques deviennent majoritaires. À notre tour, nous serions en grave difficulté. Parce qu’on serait avec des personnes qui ne sont absolument pas dans nos codes, dans nos normes, dans nos valeurs. Il nous faudrait nous adapter. Donc, moi, ce que j’ai dit à Paul depuis tout petit, c’est « tu ne changeras pas le monde. Tu dois faire avec les codes et les normes qui existent. Tu n’as pas le choix. Sinon, tu vivras très mal, voire tu vivras complètement exclu. »
Quand on a un enfant, quand on vit avec quelqu’un qui a un syndrome d’Asperger, on réalise à quel point on est codé. On est tous super codés. Et ce n’est pas un truc qu’on se dit tous les jours. On n’en a même pas conscience. Et donc, moi, cela me fait réfléchir : est-ce qu’on n’aurait pas intérêt à se demander si tous ces codes sont bien nécessaires ?
Propos recueillis par Arnaud Gauthier
Photo : Paul et Sophie El Kharrat seront au salon du livre du Grand Narbonne du 17 au 18 mai. @harperCollins