Occitanie : « Prendre soin des infirmiers, c’est prendre soin de la population »

access_time Publié le 02/07/2024.

Jean-François Bouscarain, président URPS Infirmiers Occitanie ©Louise Brahiti

Infirmier héraultais exerçant en libéral depuis 25 ans, promu au grade de Chevalier de l’Ordre national du Mérite en reconnaissance de son action durant la crise sanitaire, Jean-François Bouscarain est président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers Occitanie.

Pour lui, “prendre soin des infirmiers, c’est prendre soin de la population”. Il est donc urgent de faire le point sur l’état de la profession. Avec la Covid dans le rétroviseur et la loi Infirmière qui semble prendre le large suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, les professionnels attendent des changements, cherchent à redéfinir les contours d’un métier qui n’a eu de cesse d’évoluer, avancent malgré les freins encore posés par les législations et leur encadrement. Car si “notre système de santé est encore largement envié, il montre des signes d’usure”. Et selon Jean-François Bouscarain, pour prendre une nouvelle direction, il faudra “changer de vitesse”.

“La santé n’est pas vue comme une richesse mais comme une dette”

Quid des évolutions de ces dernières années ? Les applaudissements de la période Covid ont-ils été suivis par une meilleure écoute et compréhension des besoins des professionnels de santé ? La réponse n’est pas si simple pour Jean-François Bouscarain, qui considère que cette période de trouble a été un déclencheur pour rappeler que la santé est primordiale : “C’est quelque chose qui s’oublie vite, mais s’il n’y a pas la santé, tout s’arrête, partage-t-il. La Covid a confirmé ce fait, mais aujourd’hui encore la santé n’est pas vue comme une richesse, mais davantage comme une dette”. Il s’agirait donc de changer la philosophie, l’approche, “le logiciel” comme aime l’appeler le président de l’URPS Infirmiers Occitanie : “On n’aime pas trop payer et la santé est trop souvent perçue comme un empoisonnement financier. Il faudrait peut-être que les réflexions actuelles intègrent cette idée en rendant un certain nombre de services immuables. Ainsi, la dette qui effraie se muera en richesse qu’il faut sauvegarder”.

Pour le professionnel, la crise sanitaire a eu un autre impact sur “le système ”, car les acteurs de la santé ont pu prouver qu’ils avaient un savoir-faire, des réflexes, une efficacité organisationnelle et une quasi-autonomie. “Durant la Covid, nous avons montré que nous étions sous-utilisés au regard de nos compétences, résume-t-il. Les infirmiers libéraux ont été en capacité de represcrire des traitements de patients stabilisés, de prendre le temps d’expliquer aux familles la méthodologie à suivre, de rencontrer les patients zéro dans une situation de prévention, etc”. Une prise en charge physique certes, mais avec d’importants effets psychologiques poursuite l’infirmier, qui travaillait en semi-rural durant la crise : “J’allais dans des mas, dans des endroits isolés, et les gens s’étaient blottis de chez eux. Ils ne bougeaient plus parce que la télé le leur disait ‘Confinez-vous’. Mais autour d’eux, il y avait 2 hectares de terrain… Au lieu d’avoir la Covid, les gens allaient devenir fous. On leur a confirmé qu’avec de l’espace et pas de personnes vulnérables à l’horizon, il valait mieux qu’ils prennent un peu l’air.”

“Il y a une cohorte de soins qui allégerait les médecins”

Si on tire les conclusions de ces informations, les infirmiers libéraux auraient donc apportés la preuve qu’ils pouvaient se tenir au chevet du système de santé. Lui, érodé par le manque de médecin et une législation qui progresse sans bousculer les fondamentaux… “Nous souffrons d’un patriarcat médical qui est ancien, rappelle Jean-François Bouscarain. Il nous limite à des tâcherons, c’est-à-dire exécutants. C’est simple, nos actes découlent d’une prescription faite par un médecin. Le problème est qu’aujourd’hui les médecins manquent et ceux qui restent veulent travailler autrement. Résultat, le temps médical consacré par les médecins à leurs patients est plus court, cela crée des trous dans la raquette”.

C’est pour apporter une réponse à cette crise de la prise en charge que l’URPS Infirmiers Occitanie travaillent localement sur une meilleure organisation des soins. “L’idée est de dire aux médecins que s’il y a un certain nombre d’actes qu’ils ne peuvent pas réaliser, nous pouvons agir en soutien, sans perte de chance pour le patient, clarifie le professionnel. Les médecins sont débordés, ils ont moins de temps pour poser les questions liées à la vaccination, à l’environnement, rapidement procéder au renouvellement des ordonnances… L’infirmier a plus de temps, il peut donc y avoir un véritable échange. Il y a une cohorte de soins qui allégerait les médecins sans qu’ils ne disparaissent du paysage. C’est une coopération, une coordination, qui bénéficierait du triptyque médecin/infirmier/pharmacien.”

Avec la disparition progressive des médecins de famille, la solution serait-elle de miser sur des infirmiers référents ? “En partie”, répond le président de l’URPS Infirmiers Occitanie : “Ce que nous poussons auprès du législateur, c’est l’idée que s’ils veulent qu’on s’en sorte, nous ne sommes pas la solution unique mais l’une d’entre elles. Et plusieurs sondages confirment que la confiance des gens est forte envers les infirmiers, ils seraient même prêts à faire appel à eux pour de la petite chirurgie…”. 

Avancées législatives

Le dispositif DIANE dans les Ehpad, les expérimentations de la rédaction de certificats de décès, et le rôle prépondérant dans l’outil Mon Bilan Santé du gouvernement : les infirmiers ont vu leurs missions évoluer ces derniers mois pour pallier les pénuries de médecins. Cependant, la requalification du métier et les réflexions sur le mode de rémunération tardaient à se concrétiser, ce qui inquiétait le président de l’URPS Infirmiers Occitanie, notamment face à la dissolution de l’Assemblée Nationale qui risquait de retarder encore plus les échéances législatives.

Mais ce vendredi 28 juin 2024, à 48 heures du premier tour des législatives, le gouvernement a franchi un pas significatif en publiant au Journal officiel trois décrets élargissant les responsabilités des professionnels paramédicaux, ici les infirmiers, kinésithérapeutes et opticiens.

Parmi ces mesures, la création de la fonction d’infirmier référent, réclamée de longue date par la profession, mais critiquée par certains médecins qui y voient une concurrence potentielle avec le médecin traitant. Cette fonction, instituée par la loi Valletoux de décembre 2023, vise à renforcer la coordination des soins pour les personnes atteintes d’affections de longue durée et à améliorer les efforts de prévention. Les infirmiers espèrent que cette nouvelle responsabilité sera accompagnée d’une rémunération spécifique, à négocier lors des prochaines discussions tarifaires entre les syndicats d’infirmiers libéraux et l’Assurance maladie. À cet égard, le principal syndicat d’infirmiers libéraux, la FNI, s’est engagé à se mobiliser auprès du gouvernement formé après les élections législatives pour obtenir dès la rentrée l’ouverture de ces négociations.

Les infirmiers attendent également d’autres décrets ou arrêtés, notamment celui permettant l’accès direct aux infirmiers de pratique avancée (IPA) exerçant dans des structures collectives telles que les hôpitaux, cliniques, établissements sociaux ou médico-sociaux, ainsi que dans les maisons ou centres de santé en ville, précise l’Agence France Presse.

Louise Brahiti

Photo : Jean-François Bouscarain, président URPS Infirmiers Occitanie ©Louise Brahiti.

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