Occitanie : les notaires ont « le contrat social fixé au corps » selon Philippe Martin

access_time Publié le 07/09/2024.

Photo : Philippe Martin dans son office notarial narbonnais fin août 2024 © Cyril Durand / L'Echo du Languedoc.

Le Narbonnais Philippe Martin a été élu à la tête du Conseil régional des notaires du ressort territorial de la Cour d’Appel de Montpellier, en 2023. Pour lui,  le notariat est un humanisme qu’il défend corps et âme au quotidien et dans ses fonctions présidentielles. Bilan à mi-mandat.

Quel est le rôle du Conseil régional des notaires ?

Le conseil régional est l’interlocuteur de la juridiction judiciaire par cours d’appel. Il est installé sur Montpellier, pour des raisons de proximité, puisque il est dans les mêmes locaux que l’école de notariat, historiquement, et que ceux de la chambre départementale des notaires de l’Hérault. Le conseil régional a vocation à couvrir quatre départements  – Hérault, Aude, Aveyron et Pyrénées-Orientales – qui, eux, sont structurés en chambres départementales.  Je suis l’interface entre la chambre départementale et le conseil supérieur du notariat, qui est notre représentation suprême et supérieure, qui, lui, est en lien avec le ministère de la Justice.

Comment se passe l’intégration des nouveaux offices depuis la réforme de 2015 ?

Beaucoup ont été créés, on s’est retrouvés doublés en effectifs de 2017 à aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a, environ, 650 notaires sur quatre départements, répartis dans un petit peu moins de 300 offices. Ils servent la chancellerie ou l’autorité dite de la concurrence, une autorité administrative qui pilote le nombre des études sur le territoire pour lui donner une harmonie, qui essaie de répondre au déplacement des populations, de la rur​​alité vers les métropoles. Il y a un nombre qui est décidé tous les deux ans, qui est discuté et qui permet de mettre au tirage au sort… 

L’attribution des études se fait par tirage au sort ? 

Ceux qui sont diplômés notaires, aujourd’hui, sont tirés au sort. L’informatique a, aussi, pénétré notre profession. Avant, nous avions un contrôle d’accès pour pénétrer le notariat. À présent, il suffit d’être diplômé pour être tiré au sort, d’une manière qui, a priori, exclut toute priorité qui serait une priorité sympathique ou relationnelle. On est tiré au sort à des endroits et sur des zones à libre installation, à installation contrôlée ou interdiction d’ajouter un notaire de plus, une forme de maillage moderne mais qui a multiplié le nombre des études, pour ce qui concerne la cour d’appel, par deux.

Vous parliez de l’informatique, est-ce que l’IA a un impact sur l’activité des notaires ? 

Pour l’instant, nous sommes encore au balbutiement de l’intelligence artificielle. Mais très probablement qu’elle va se substituer – j’imagine – à quelques tâches répétitives, un peu fastidieuses, ordinaires, qui encombrent le travail de tous les jours et qui vont permettre aux collaborateurs, aux acteurs de la rédaction des actes, de se consacrer un peu plus au fond du dossier, à l’accompagnement, aux conseils, dégager en quelque sorte du temps parasite pour le concentrer davantage à la formation, à la performance, à la technicité et finir de maintenir un haut niveau de technicité. 

Vous voyez ça d’un œil plutôt positif…

Je vois ça d’un œil fataliste. Comment voulez-vous lutter contre l’intelligence artificielle ou la suprématie aujourd’hui de l’informatique qui a pris le dessus sur tout le reste ? Donc, moi, je suis fataliste, parce que ce n’est pas moi qui suis aux commandes.

Quel regard vous portez sur le marché immobilier actuellement ?

C’est un marché en souffrance. On est dans un environnement que l’on peut qualifier d’extrêmement tendu, à tous les postes d’ailleurs. Au niveau de la production, du neuf, du logement, du bancaire… Il y a beaucoup de gens qui cherchent un logement et qui n’en ont pas et des gens qui veulent l’acquérir mais qui n’y arrivent pas compte tenu des prix, qui sont arrivés à un seuil qui freine les acquisitions. Mais les banques sont, aussi, exigeantes par rapport à leur sécurité de remboursement.

Est-ce que le climat politique peut avoir une incidence sur le marché immobilier ?

La politique a une incidence sur tout, et notamment sur le marché immobilier.  Il y a des choix qui sont faits. Il faut bien admettre que, jusqu’à aujourd’hui, l’État a essayé d’accompagner l’immobilier depuis 30 ou 40 ans, et puis s’est désengagé par rapport à ce que l’on appelait jadis les défiscalisations des acquis immobiliers, une myriade de possibilités d’acquisition, comme la loi Périssol, qui permettaient d’avoir un avantage fiscal si on investissait dans l’immobilier. Tout ça s’est arrêté. On peut dire qu’on avait un système qui était soutenu pour essayer de produire de l’immobilier au rythme où la population croissait. 

L’exonération des frais de notaire jusqu’à 250 000 €  pour les primo-accédants était une volonté de Gabriel Attal. Cela a-t-il été mis en place ?

Non. Mais puisque l’occasion se présente d’évoquer le sujet, quand on parle des frais de notaire, les gens considèrent que c’est un montant qui est très élevé, trop élevé, et qu’ils nous font rapidement considérer comme des nantis, des rentiers, etc.  En réalité, il faudrait plutôt parler des frais d’enregistrement plutôt que de frais de notaire. Les frais de notaire, pour un bien immobilier, sont représentatifs de frais d’enregistrement en concurrence de 80%, quand vous payez 1 000€ chez le notaire, vous avez 80% qui sont des enregistrements, qui sont des taxes, qui sont de la TVA. Grosso modo, le notaire est rémunéré sur un acte de vente à 1% du prix qui est exprimé […].

Nous sommes là pour assurer la transmission du droit de propriété mais nous sommes aussi des grands collecteurs d’impôts. Et les frais d’enregistrement sont engrangés par les collectivités qui se retrouvent, du fait d’une baisse du volume des ventes, en difficulté parce qu’elles font le calcul des ventes qui vont être signées pour savoir combien elles vont encaisser. Les frais de notaire, vous avez 1,20% qui va pour les communes,  3,40% pour les départements. Les collectivités se nourrissent des frais de notaire puisque nous les reversons aux services fiscaux qui les dispatchent ensuite aux diverses collectivités. 

Est-ce qu’on l’on se dirige vers un modèle plus anglo-saxon, basé sur le common law plus que sur le civil law ?

Je le redoute et j’essaie, à mon petit niveau, de le combattre. Parce qu’il y a une forme de rouleau compresseur d’état d’esprit qui s’installe, généralisé, planétaire. On devient des citoyens du monde aujourd’hui et il faut renoncer à des postures, des schémas qui renvoient à notre histoire particulière. La Chine s’immerge dans un marché mondialisé, la Russie, les Etats-Unis… Comment la France pourrait-elle être étrangère à tout ce qui se passe à travers le monde ? C’est pour ça que j’essaie de combattre. Est-ce qu’on arrivera à faire un alliage des deux, subtil, équilibré ? Parce que notre droit en vocation va être un droit d’équité. Liberté, égalité, propriété, droit d’équité […].

Le droit common law est un droit jurisprudentiel qui n’est pas l’application stricte de la loi. Donc on est plutôt dans une religion où la force l’emporte plutôt que la loi. […] Le notariat aujourd’hui préside à l’équité du contrat. Donc on peut être seul à établir un contrat équilibré. […] Aux Etats-Unis, dans l’esprit de la common law, vous avez un conseiller pour chacun. Donc ce n’est pas une tierce qui va juger de l’équité, de l’équilibre de la balance. Il peut y avoir des contrats où le plus fort, le meilleur, j’allais dire peut-être le plus rusé, le plus retors, va emporter le contrat à son avantage au détriment de l’autre. Moi, j’ai la faiblesse de penser que notre histoire est enviée par tous. Notre code civil a été copié – ou plagié – par tous. L’institution notariale a été copiée ou plagiée par 80 Etats, aujourd’hui, dans le monde. Nous avons encore une capacité, d’un point de vue, à résister à cette vision mondialiste. Je vais faire confiance à l’Homme, un peu comme Rousseau, mais j’avoue que parfois, j’ai quelques doutes.

Trouvez-vous que le contrat social soit mis à mal actuellement ?

Nous, nous avons le contrat social, je dirais, fixé au corps. Le contrat social, c’est ce que moi, je m’efforce de transmettre dans les interventions que je fais, que j’ai l’opportunité de faire à l’endroit où l’histoire m’a placé aujourd’hui, en toute humilité. C’est de démontrer que l’humanisme doit l’emporter, plutôt que l’économique. Et là, ce que je crains, c’est que l’on ait substitué le consommateur au citoyen. Voilà, c’est ce que je m’efforce de contrer. Chaque fois que j’interviens quelque part, j’essaie de valoriser notre métier, par rapport à ce qu’il y a de plus ancien, qui était l’assemblage du résultat de la réflexion de beaucoup de philosophes, que la Terre pourrait nous envier, mais que l’on essaie, hélas, de nous faire oublier.

Propos recueillis par Cyril Durand

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