Ce mardi 9 décembre, Anna Deroo est devenue la plus jeune pilote brevetée de France. Tout sauf un hasard pour cette jeune Audoise membre du club de Puivert.
Il est tout juste midi sur l’aérodrome de Puivert. « Je crois qu’il faudra s’accrocher pour lui offrir un meilleur cadeau d’anniversaire ! » À peine la verrière du planeur “Alliance 34” ouverte, Thierry Bilote lâche sa formule, comme un bon mot de comptoir. L’examinateur est sûr de son effet. Ce 9 décembre, Anna Deroo vient de devenir pilote. Pas “bientôt”. Maintenant. Une pilote, pour de vrai. Une pilote brevetée, avec une licence SPL en poche. Le jour même de ses 16 ans. Record national. Emblématique. Mais dans ce coin de l’Aude où le vol à voile est une seconde nature, personne n’a vraiment l’air d’être surpris. Que l’Audoise devienne la plus jeune Française à décrocher le précieux sésame n’étonne personne aux Planeurs de Puivert. Ici, la formation est une tradition. Et Anna poursuit ce rêve depuis des années. Rencontre avec une pionnière de l’ère moderne.
Un bel oiseau blanc de 16 mètres d’envergure
Dans les locaux un peu vieillissants du club, baignés d’une ambiance surannée mais réconfortante, Anna déroule son briefing météo. Les diapositives défilent : plafond, entrée maritime, inversion de température, altitude de l’isotherme. Rien ne lui échappe. Quelques trémolos dans la voix parfois, mais elle maîtrise son sujet. Ce 9 décembre 2025, jour de ses 16 ans, le ciel est clair au-dessus du pays de Sault. Anna s’apprête à embarquer l’examinateur à bord de l’“Alliance 34”, un bel oiseau blanc aux lignes épurées et au bec rouge. 16 mètres d’envergure. Impressionnant.
Pendant qu’Anna déroule sa checklist, Francis, pilote chevronné et formateur du club, aligne l’avion remorqueur sur la piste enherbée. Dans quelques minutes, les 235 chevaux de la machine hisseront le planeur, tracté au bout d’un câble de 60 mètres, direction les ascendances. Un vent arrière se lève. Les pilotes n’aiment pas ça… Mais peu importe : Anna s’installe comme si elle avait trente ans de cockpit derrière elle. Imperturbable, ses gestes sont précis. Le planeur s’arrache patiemment à la gravité du sol. Tout semble d’une simplicité déconcertante. C’est parti pour deux vols, sous l’œil attentif de l’examinateur.
Puivert : 600 habitants et plus de 100 adhérents au club !
Au sol, les bénévoles du club (pas de salariés ici) scrutent chaque manœuvre. Parmi eux, emmitouflée dans une parka blanche, immaculée, Betty est aux premières loges. La secrétaire du club n’est autre que… la maman d’Anna. Le vol à voile est ici une affaire de famille. “J’ai commencé par l’aéromodélisme avec mon père. Un jour, on est descendu du Nord pour des vacances à Puivert… et l’histoire a commencé là.” Et sa vie s’écrira ici : le futur mari devenu président du club, deux filles grandissant entre hangars et thermiques, les repas pris entre deux treuillages et des vols par centaines au-dessus des ruines du château local. Puivert : 600 habitants tout juste, une petite dizaine de planeurs et plus de 100 adhérents au club !
“Je suis surtout une maman qui attend le retour de sa fille.”
“C’est mieux d’être en famille, on passe tellement d’heures ici ! Sinon, ça devient vite compliqué”, sourit Betty. Elle cumule les rôles : secrétaire générale, instructrice, présidente départementale, vice-présidente régionale. “Mais aujourd’hui, je suis surtout une maman qui attend le retour de sa fille.”
Après un premier vol, Anna repart aussitôt. Elle est plus détendue et laisse éclater sa joie à l’atterrissage. La voilà plus jeune pilote brevetée de France. “Le briefing s’est bien passé. Je n’avais jamais fait ça… Pas évident ! Ensuite, en vol, on a fait des autorotations, des décrochages… Il voulait voir comment je réagissais dans des situations un peu extrêmes. Lors du deuxième vol, j’étais commandant de bord. On a simulé une casse de câble et j’ai dû me poser. Le plus dur, ça a été de gérer le stress. Mais quel soulagement ! Je me souviendrai toujours du moment où il m’a dit que j’avais ma SPL. Et que c’était mon cadeau d’anniversaire !”
La formation, ADN des Planeurs de Puivert
Cette réussite, Anna la doit avant tout à elle-même, à sa passion, à son travail, à son tout proche entourage aussi. Et à Francis Clar, responsable formation du club. “Actuellement, on a 60 jeunes en formation, énumère-t-il. C’est l’ADN du club. Nous ne sommes pas tournés vers la performance, ici on privilégie la formation des jeunes. On ne leur apprend pas seulement à piloter mais aussi à avoir le bon comportement, dans le planeur comme dans la vie ! Quand on leur confie un planeur, ils ont quand même une sacrée responsabilité. Il faut qu’ils aient un peu de plomb dans la tête. Le pilotage, bien sûr que c’est important. Mais le savoir-être est primordial. C’est assez récent comme approche dans les aéroclub. Ce sont les compagnies aériennes qui ont initié cette démarche en s’apercevant que souvent les accidents venaient d’un manque de savoir-être. Alors, on demande de former aussi en ce sens. Et ici, on aime ça !”
Si Anna a passé avec brio les différentes étapes de sa formation, elle défriche le terrain pour d’autres. À commencer pour Ariana Veverita. Élève au collège Saint-Exupéry de Bram, elle est devenu la plus jeune française à être lâchée seule aux commandes. C’était le 16 novembre dernier, jour de ses 14 ans ! Décidément à Puivert, on aime les records. “Mon objectif est clair : je veux devenir pilote de ligne”, annonce la jeune fille, déterminée. On la croit. On la voit déjà. On peut même parier, sans se mouiller : son SPL, elle l’obtiendra le 16 novembre 2027.
À Puivert, la piste est verte, le ciel est bleu et il appartient aux plus jeunes.
Arnaud Gauthier
Photo principale : Anna Deroo obtient sa licence SPL, l’équivalent du permis de conduire, le jour de ses 16 ans. ©A.G.
