Le directeur du centre hospitalier de Carcassonne répond à nos questions après la publication du rapport de la chambre régionale des comptes sur l’établissement. Trois défaillances ont été pointées du doigt : une dette dangereusement lourde, une pénurie médicale limitante et un groupement hospitalier mal coordonné.
« Il n’y a pas de défaut de pilotage, pas de défaut de gouvernance, pas de défaut de contrôle de gestion », Jean-Marie Bolliet, directeur du centre hospitalier de Carcassonne, prescrit la méthode « zen » à l’heure d’ausculter les conclusions du rapport définitif de la chambre régionale des comptes sur son établissement. Cette dernière a examiné les exercices 2019 et suivants de l’hôpital. Conclusion ? Un triptyque de difficultés : une pénurie persistante de professionnels de santé, une dette conséquente et un groupement hospitalier manquant de coordination.
164 000 Audois sont rattachés au bassin de population desservi par le centre hospitalier de Carcassonne. Doté de 364 lits, l’établissement emploie 1934 équivalents temps plein. Malgré une activité en progression, le CH de Carcassonne reste grevé par l’endettement lié à sa construction en 2014. Le soutien important de l’Agence régionale de santé (ARS) ne suffit pas, la situation budgétaire reste fragile : la capacité d’autofinancement est insuffisante pour honorer les annuités de remboursement et la trésorerie demeure tendue. Le paiement des fournisseurs est régulièrement retardé, faute de liquidités, et dépasse le délai réglementaire de 50 jours. Ce qui en plus de fragiliser les prestataires, expose l’établissement aux paiements d’intérêts.
Les difficultés liées à la pénurie médicale
Selon le rapport, l’établissement apparaît bien implanté dans son territoire avec une activité significative sur sa zone d’attractivité. Sa stratégie s’est consolidée sur la période contrôlée. Son offre de soins est diversifiée et son plateau technique est spécialisé. Carcassonne demeure néanmoins impacté par la pénurie médicale : « À l’exception de la médecine polyvalente, cette situation se solde par un allongement des délais de consultation et limite l’offre publique. Ainsi, certaines spécialités majeures comme la chirurgie ophtalmologique et l’urologie ne peuvent être prises en charge par le secteur public sur le secteur de santé. En conséquence, les patients se tournent vers le secteur privé du territoire, bien ancré sur le bassin de santé, ou vers le département de la Haute-Garonne », détaille la chambre régionale.

« L’hôpital est mal né financièrement »
« Je le dis souvent mais l’hôpital, créé en 2014, est mal né financièrement, puisque sur les 174 millions d’euros qu’a coûté l’hôpital, on en a emprunté quasiment 160 !, rappelle Jean-Marie Bolliet. Actuellement, on a à peu près 800 000 euros de résultats déficitaires consolidés sur 210 millions, ce qui fait 0,4 % de déficit. On commence à être inquiétés en termes de plan de redressement dans un hôpital à compter de 2 % de déficit. Nous en sommes loin. »
Le rapport évoque aussi une sous-exploitation du potentiel de recettes de l’établissement. Une amélioration de la qualité du codage médical pourrait permettre une hausse significative des revenus. Le codage permet de facturer à l’Assurance maladie les soins réellement pratiqués. Ils sont souvent sous-facturés par manque de précisions.
« Le codage au coeur de nos préoccupations financières »
Un axe d’amélioration prioritaire selon la direction : « La codification, c’est très subtile. Ce sont des milliers de codes possibles. Et puis, il y a un enchaînement entre le diagnostic principal, secondaire, les antécédents. Si vous loupez quelque chose, ça peut vous faire perdre entre 500 et 1 000 euros sur un seul séjour. Donc, dès mon arrivée, j’ai identifié qu’il fallait passer à une autre dimension. On a rapatrié tout le codage à un service qu’on a renforcé, qui est spécialement fait pour ça, comme 95 % des hôpitaux français. On n’a pas innové. On a juste remis le codage au cœur de nos préoccupations financières. En bonifiant le codage, on va bonifier les résultats d’exploitation de l’hôpital année après année. »
Créé en 2016, le groupement hospitalier de territoire de l’ouest audois (GHTOA), réunissant les centres hospitaliers de Carcassonne, Castelnaudary et Limoux-Quillan, est un autre point d’alerte de la chambre régionale des comptes. Il apparaît sous-dimensionné et peu opérationnel. Le rapport pointe l’absence de stratégie commune, une mutualisation très limitée (restreinte à quelques consultations ou achats) et une coordination insuffisante.
« C’est à nous de trouver des solutions »
Jean-Marie Bolliet garde un optimisme à toute épreuve : « C’est à nous, avec les possibilités qu’on a d’investissement qui ne sont pas très fortes, de trouver des solutions. Aujourd’hui, on loue énormément puisque nous ne pouvons investir. Mais on se redresse, parce que l’activité croît et l’optimisation du codage commence à porter ses fruits depuis l’année dernière. Je suis persuadé que d’ici 5 ans, on pourra vraiment commencer à acheter du matériel et à vivre une période plus heureuse. Et, par exemple, installer un robot chirurgical. J’ai des chirurgiens qui portent le projet et qui vont vraiment pouvoir faire fonctionner ce robot. On est en train d’analyser les offres. Mais pour un hôpital comme le nôtre, un robot chirurgical, c’est à la fois pour le patient l’assurance de bénéficier des dernières technologies et pour l’hôpital, c’est vraiment le fait de se positionner à la pointe. Redresser un établissement, ou du moins lui faire prendre une autre dimension, ça prend entre 7 et 10 ans. On est en route. »
Et le directeur de conclure : « Tout n’est pas noir à l’hôpital de Carcassonne. On a des spécialistes, on fait de la médecine nucléaire, on fait de la radiothérapie. La palette de variétés de l’hôpital de Carcassonne, c’est la cinquième palette d’Occitanie, quand même, après les trois CHU et Perpignan. »
Arnaud Gauthier
Photo : le centre hospitalier de Carcassonne passé au crible par la chambre régionale des comptes. ©DR