Gilles Goujon : « On bouffe, on boit, on fait tout ce qu’on peut faire en vacances” 

access_time Publié le 05/08/2025.

Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? On a posé la question à Gilles Goujon. Le chef de l’auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse se livre, autour d’un repas pris les pieds dans l’eau, chez les voisins héraultais. Bonne dégustation !

C’est à la paillote Chiringuito, à Vias-Plage, que Gilles Goujon nous a donné rendez-vous. Arrivé avec son épouse Marie-Christine et un sac rempli de baudroies, il n’a pas pu s’empêcher de passer en cuisine dans cet endroit qu’il connait bien. Là, il a donné quelques conseils et choisi les produits qu’il souhaitait déguster, notamment les tomates du potager. Dans ce lieu chargé de souvenirs, nous avons partagé un repas et évoqué le travail, le couple, la famille, les vacances… et ce père disparu trop tôt. Un moment suspendu, où l’émotion, parfois, l’a rattrapé malgré lui.  

Pourquoi avez-vous choisi cet endroit ? 

Parce que c’est un bout de ma vie. On venait souvent ici quand on était jeunes. Avec ma femme, on se retrouvait là quand on a commencé à se fréquenter. J’avais 18 ans, elle 16. Elle venait à pied de la plage de la Redoute pour me rejoindre pendant que je bossais au camping Napoléon pour la saison. Il faut dire que j’étais beau garçon ! (rires). Pour qu’on puisse se marier et avancer, après la saison j’ai devancé l’appel et je suis parti faire le service militaire. A l’époque, on partait un an en laissant sa copine et quand on revenait, on voyait si elle était toujours là ou pas. Elle était toujours là, la bougresse ! Aujourd’hui, ça fait 45 ans. 

C’est quoi le secret pour que ça dure ? 

Supporter qu’elle m’engueule tous les jours ! (Rires) Non, c’est parce qu’on a tout construit ensemble et qu’on croit l’un en l’autre. On est partis de rien. On avait pas les mêmes rêves mais je lui ai fait aimer les miens. Elle était coiffeuse. Ma passion a emporté tout le reste. Au bout de un ou deux ans de relation, je lui ai dit “tu m’aimes, je t’aime, c’est merveilleux. Mais saches que pour moi c’est avant tout la cuisine, la cuisine, la cuisine. Je veux avoir trois étoiles, être meilleur ouvrier de France et être chef patron. Donc qui m’aime me suive”. Elle a fait un CAP service et on s’est lancé ensemble. 

Quels souvenirs avez-vous ici ? 

Il y en a plein ! Ça n’était pas comme ça ici. Le Chiringuito n’existait pas, il y avait une boîte de nuit qui s’appelait Las Vegas un peu plus loin. Derrière il n’y avait que des dunes. Il y avait une baraque à frites où on allait tous les jours. On n’avait pas d’argent, mais qu’est-ce qu’on était bien !  

Est-ce qu’aujourd’hui vous pouvez prendre des vacances l’été ? 

L’été non, sauf cette année car je suis en arrêt maladie. J’ai fait un AVC en mai 2024 et je me suis fait opérer du cœur en avril 2025, la cardio vient de prolonger mon arrêt. Techniquement ce ne sont pas des vacances mais on a été à Marrakech, on va aller à Saint-Tropez et chez Patrick Bruel, dans son hôtel à L’Isle-sur-la-Sorgue. 

Vous arrivez à couper ? 

On peut dire oui, à 90%. Hein Chérie ? (sa femme dit plutôt 50%). Ah non ! La semaine dernière, je n’ai été à l’Auberge qu’une demi-journée. J’ai plus mis les pieds à l’Alternative. Hier j’y ai passé la journée.  

C’est quoi pour vous le lâcher-prise ? 

Je ne sais pas vraiment lâcher. J’ai l’esprit qui vagabonde sur les travaux de l’Auberge ou une recette. Je n’arrive même pas à me poser pour lire, même la presse. Je regarde les infos pour me tenir au courant mais je ne lis plus. 

« Chaque soir, on fait une tablée de 8 ou 10 personnes, pas toujours les mêmes »

Gilles Goujon

Vous avez deux enfants, Axel et Enzo. Quels sont vos souvenirs de vacances avec eux ? 

Quand Enzo avait un an, nos premières vacances avec lui étaient à l’Ile Maurice. On a fait nos vacances au rythme de bébé, c’était chouette. Il se réveillait, on se réveillait, il dormait, on allait se coucher. Depuis, quand on ferme l’hiver, pas une année n’est passée sans qu’on parte en vacances en famille. C’est très important pour moi. En général, on va dans notre maison à Saint-Martin. On dégage de la France parce qu’il fait froid, tout l’été on a bossé et quand il fait beau là-bas, on a envie d’y être. Donc on rattrape le temps perdu. Aujourd’hui encore, j’adore y aller avec les enfants, ils ont beaucoup d’humour, on déconne. On bouffe, on boit, on fait tout ce qu’on peut faire en vacances. 

Vous emmenez quoi dans vos bagages quand vous partez en vacances ? 

Quand on part, on a 100 kilos de bagages. J’arrive avec des côtes de bœuf maturées, du gibier… J’ai toujours des copains qui attendent mon cassoulet ! A Saint-Martin, j’ai une multitude d’amis. Chaque soir, on fait une tablée de 8 ou 10 personnes, pas toujours les mêmes. 

Vous fêtez donc la nouvelle année à Saint-Martin ? 

Avant on travaillait et les enfants descendaient juste nous faire un bisou à minuit. Il y a 7 ans, pour notre premier réveillon en famille, on avait loué un truc, on était une cinquantaine. On m’avait demandé de cuisiner et promis de m’aider. Les copains sont partis au rosé et il n’y avait plus personne pour m’aider ! J’en ai chié, ce n’était plus des vacances… Par contre, à minuit, j’avais mes deux petits qui étaient là, on a regardé un feu d’artifices. (Très ému, Gilles Goujon verse une larme) 

Vous êtes émotif ? 

Oui, je pleure facilement. Il y a des souvenirs qui me font pleurer. Et puis, je trimballe une valise chargée. J’ai perdu mon père quand j’avais 10 ans. C’est un manque. Donc quand je fais des choses avec mes enfants, je suis content. J’essaie qu’ils n’aient pas ce manque et en même temps je comble le mien.  

A Saint-Martin, il y a beaucoup de Français. Est-ce que vous arrivez à aller à la plage ou vous êtes trop connu ? 

J’y vais oui, mais il faut accepter que t’es plus vraiment anonyme. Y a toujours quelqu’un qui veut une photo, discuter un peu… Parfois, c’est un peu chiant, mais je donne toujours le change.  

Que pensez-vous de la starification des chefs aujourd’hui ? 

Le mot “starification” me dérange. On est une profession reconnue et plutôt choyée aujourd’hui, et tant mieux. Mais est-ce qu’on n’envoie pas parfois un message un peu flouté de ce qu’est vraiment la cuisine ? Moi, ça me gêne. Il y a des métiers bien plus durs que le nôtre, et dont on ne parle jamais. Le chirurgien qui m’a opéré, lui, il m’a tenu entre ses mains pendant sept heures. Là, tu joues pas avec une cuisson ratée, tu joues avec une vie. Alors oui, je suis content qu’on parle de moi, content de passer à la télé… mais faut garder les pieds sur terre. On est que des cuisiniers. 

« J’avais perdu mon père, j’étais malheureux, j’avais l’impression d’être un moins que rien »

Gilles Goujon

C’est un signe de réussite de passer à la télé ? 

Oui, c’est un signe de réussite et pour moi, ça a une résonance très forte. Parce que pendant très longtemps, je me suis senti comme une merde. C’est pas joli à dire, mais c’est comme ça que je le vivais. J’avais perdu mon père, j’étais malheureux, j’avais l’impression d’être un moins que rien. Alors aujourd’hui, quand je me vois à la télé, je pense à lui, là-haut. Et parfois je lui dis : “Ça va ? T’es fier ?” 

C’est pour ça que vous aviez autant la rage de réussir ? 

Oui… (la gorge se serre) Je voulais qu’il soit fier de moi, même sans jamais pouvoir l’entendre. Cette rage, elle vient de là. Ma casserole comme je dis, c’est ce qui m’a fait devenir qui je suis. Si j’avais été un gamin avec de la chance, une petite famille normale, sans manques, je ne suis pas sûr que j’aurais eu autant de niaque. J’ai eu envie de me battre.  

Avec qui vous rêveriez de partir en vacances ? 

Avec mon père et mes enfants… (il pleure à chaudes larmes). Ma femme, ma mère, toute la famille. Ce serait ça, le vrai rêve. Mais bon, c’est pas possible. Pour rester dans le réel, je dirais mes enfants, mes belles-filles, mes petits-enfants. Ça reste la famille. C’est ce qui compte le plus.  

Si vous pouviez boire un apéro avec une personnalité connue, vivante ou morte, vous choisiriez ? 

J’en ai plein. Mais le premier qui me vient à l’esprit, c’est Roger Vergé. Et puis toute la clique avec lui : Bocuse, Chapel, tous ces grands chefs-là. En dehors de la cuisine, ce serait Johnny Hallyday. Je suis fan depuis que j’ai quatorze ans. Je l’ai rencontré une fois… et j’étais comme un apprenti devant lui. On a mangé ensemble, mais j’ai pas su lui parler, j’ai bloqué.  

Si l’été avait une saveur, ce serait quoi ?  

La grillade. Pour moi, l’été, c’est ça. J’ai des souvenirs très forts de quand j’étais petit, à Palavas-les-Flots ou Carnon. On habitait Castelnau-le-Lez, et le dimanche, on allait à la plage avec mon père. Il y avait des gars avec des petits barbecues, des canoules, qui faisaient griller des brochettes. Ces odeurs-là, ça me rappelait le Maroc. Parce qu’on avait vécu là-bas cinq ans quand j’étais tout petit. Les odeurs de plage, les grillades, Marrakech… tout ça se mélangeait. Pour moi, l’été, c’est ça. 

L’odeur de l’été, pour vous, c’est quoi ? 

C’est cette odeur qui arrive quand il a vraiment fait chaud. Quand le soleil a bien tapé sur l’eau et que les embruns maritimes montent, avec les algues, cette odeur, pour moi, c’est l’été. J’en ai besoin. Aujourd’hui, je suis plus dans mes montagnes alors c’est autre chose. Là-haut, l’été, ce serait l’odeur du romarin, de la lavande…  

« La réussite, ça dépend où on met le curseur »

Gilles Goujon

Vous avez parlé de votre retraite dans les médias… 

Alors non, qu’on soit bien clair : je n’annonce pas ma retraite. Ce que j’ai dit, c’est qu’un jour ou l’autre, on la prendra, et que je prépare mes enfants. Avant mon opération du cœur, je me disais : dans quatre ou cinq ans, je les prépare tranquillement. Mais cette opération, ça a tout accéléré. Ça ne veut pas dire que je pars demain ou l’année prochaine. Mais quand je sentirai qu’ils sont prêts, je me retirerai complètement.  

C’est quoi pour vous la réussite ? Est-ce que vous y êtes parvenu ? 

Quand on part de rien, je pense qu’on peut appeler ça une réussite. On a fait ce qu’on voulait, et même au-delà. J’avais mis la barre haute : les trois étoiles, le titre de Meilleur Ouvrier de France… mais jamais j’aurais imaginé devenir officier de la Légion d’honneur, moi, fils de militaire. Déjà chevalier, j’étais heureux, mais là, officier… c’est fort. Et ce qui compte encore plus, c’est qu’on n’a pas tout sacrifié. La famille est là. On s’en est voulu, parfois, de ne pas être assez présents, de pas faire les devoirs avec les enfants. On bossait. Mais aujourd’hui, quand on regarde dans le rétroviseur, c’est beau. Alors la réussite, ça dépend où on met le curseur. Nous, on l’a mis là. Et puis il faut être honnête : il y a aussi une part de chance. Bien sûr qu’on a travaillé comme des fous, bien sûr que j’ai sans doute du talent. Mais il y a des gens qui bossent, qui se donnent autant, et qui n’ont rien. Il faut un truc en plus. À un moment donné, il faut que toutes les planètes s’alignent. 

Vous ne dites pas “j’ai réussi”, vous dites “on a réussi”… 

Parce que c’est un travail d’équipe avec ma femme. Aujourd’hui il y a les équipes, les enfants, mais à la base, c’était juste elle et moi. On a commencé à bosser dans les trois étoiles, puis on a pris l’Auberge. On n’avait pas un rond. Vraiment rien. Deux valises, un chien et une voiture, pas de meubles… On s’est levé la moelle, tous les deux. Des heures et des heures, juste nous et un apprenti. Et on y croyait. Comment, je sais pas. Comme on dit ici, on devait avoir un pète au casque.

Propos recueillis par Garlonn Gaud

Photo : le chef Gilles Goujon et son épouse Maris-Christine à la terrasse du Chiringuito à Vias. ©G.G

Actualités

Direct feu de Lagrasse : un mort, une personne disparue et 11 000 hectares brûlés

Suivez en direct l’évolution de l’incendie qui f ...
Actualités

Feu de Lagrasse : un blessé en urgence absolue, des maisons détruites et 8 000 hectares brûlés

Le bilan dressé par la préfecture à 23h fait état de plusieu ...
Actualités

Forte inquiétude à Lagrasse : 4 500 hectares parcourus et une progression défavorable du feu

Des flammes ultra-violentes ont déjà parcouru près de 4 500 ...
Actualités

Un départ de feu sur la commune de Ribaute déclenche d’importants moyens

Cette journée du mardi 5 août était classée en risque d&rsqu ...