À Saint-Martin-Lalande, l’usine Wienerberger transforme désormais la chaleur fatale de son four en énergie utile. Une avancée qui réduit nettement l’empreinte carbone du site et dessine un avenir nouveau pour l’industrie de la terre cuite. L’innovation est présentée au forum EnerGaïa, à Montpellier, les 10 et 11 décembre.
Fabriquer des briques ou des tuiles, c’est jouer avec le feu. Séchage, cuisson, post-traitements : ces étapes réclament des températures élevées et reposent encore largement sur le gaz naturel. Même optimisés, les fours rejettent une énergie qui se perd dans les fumées. Wienerberger — qui a repris les célèbres tuiles Terreal — connaît bien ce défi. Le leader mondial de la terre cuite s’est engagé à réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Parmi ses 25 sites en France, il a choisi l’Aude pour mener ses expérimentations. Le site de Saint-Martin-Lalande, à deux pas de Castelnaudary, est ainsi devenu pilote pour une innovation majeure : la récupération de chaleur fatale issue des fours de cuisson.
Un projet emblématique pour un secteur industriel fortement consommateur d’énergie. Il est présenté au forum EnerGaïa de Montpellier par l’agence de la transition écologique (Ademe), ces 10 et 11 décembre.
Une activité énergivore en quête de solutions
Saint-Martin-Lalande. Courant 2022. Une campagne de mesures est menée sur le four de cuisson n°1 du site Wienerberger. Elle révèle trois gisements de chaleur fatale. Comprenez, une chaleur perdue qui s’évapore dans l’air. Une étude de faisabilité confirme alors l’intérêt de réinjecter cette énergie dans le séchoir du site. « Le niveau de production de cette usine est très élevé donc c’est un site très intéressant à décarboner, avec un séchoir qui était performant en termes d’efficacité, mais qui consommait beaucoup de gaz parce que très productif », détaille Childéric Gourdin, chef de projet chez Wienerberger.

Le technicien complète : « C’est le deuxième projet de chaleur fatale qu’on menait dans le groupe. On en avait déjà fait un en Bourgogne. On souhaitait repartir de l’expérience acquise en Bourgogne pour essayer de la dupliquer dans l’Aude, mais on s’est assez vite rendu compte que la technologie utilisée sur notre usine en Bourgogne n’était pas adaptée. On est un groupe avec une multitude de sites qui ont tous leurs spécificités. On a bien sûr pu se servir du travail effectué en Bourgogne mais on s’est quand même orienté vers une technologie différente sur Saint-Martin-Lalande. »
Sans oublier les contraintes du terrain : le four fonctionne en continu, le séchoir par intermittence, les installations sont éloignées, et les fumées à traiter ont leurs propres caractéristiques chimiques. De là naît une solution ambitieuse, articulée autour de trois équipements clés.
Trois sources de chaleur identifiées pour un matériau ancestral
Premier maillon : des échangeurs capables de capter l’énergie des fumées, même à basse température. Conçus pour résister aux spécificités du gaz rejeté, ils délivrent une puissance moyenne de 1,4 MW.
Deuxième maillon : un réseau de chaleur dédié, créé pour transporter cette énergie à travers l’usine.
Troisième maillon : un stockeur d’énergie. Il absorbe la chaleur produite en continu par le four et la restitue au moment exact où le séchoir en a besoin. Une première dans le monde de la terre cuite.
Un chantier mené sans interrompre la production
Le projet a été validé en 2023 et s’est déployé en 2024, sans interrompre la production. Les installations sont opérationnelles depuis début 2025. Montant total : 4 M€ dont 1,4 M€ financé par l’Ademe via le Fonds Chaleur. Un soutien déterminant pour assurer la pertinence économique et technique de l’opération. « À l’Ademe, on voit beaucoup de projets similaires passer en financement. On a donc la capacité de faire une analyse des coûts d’investissement et des coûts d’exploitation au regard des autres projets qui sont financés, explique Gaëtan Daujean qui a suivi ce dossier pour l’agence. On va faire une analyse de cohérence des chiffres d’investissement et d’exploitation. Puis on détermine une subvention qui déclenche le passage à l’acte pour l’industriel, parce qu’il y a un temps de retour sur investissement qui devient alors acceptable. »

Le chargé de mission de l’Ademe poursuit : « Ce sont ici des gros projets très importants et qui présentent une efficience d’aide publique la plus intéressante. L’efficience est de 6,4 euros du mégawatt-heure produit sur 20 ans. Il s’agit d’un des meilleurs scores qu’on peut avoir. Pour nous, c’est vraiment intéressant d’aller aider ce type d’opérations parce qu’on sait qu’on va avoir des résultats derrière sur nos bilans de production d’énergie renouvelable. Et ce en dépensant le moins possible d’aide publique. On espère que ça va être reproductible, même s’il y avait une particularité technique quand même sur ce projet avec des problèmes de condensats acides. Mais maintenant, l’installation est en service. Donc c’est une réussite pour nous. »
Des gains immédiats et une performance confirmée
Les résultats enregistrés dès la mise en service sont significatifs. Le dispositif permet d’éviter l’émission de 2 000 tonnes de CO₂ par an et de valoriser 11 GWh d’énergie, soit l’équivalent du chauffage annuel d’environ 1 100 logements. L’usine réduit ainsi ses émissions globales d’environ 10 %, avec une décarbonation complète du séchoir durant la période estivale. Grâce au stockeur, la quantité d’énergie récupérée augmente de 63 % par rapport à une simple récupération directe. « Cet équipement baisse drastiquement la consommation. On était entre 12 et 13% de consommation du site représentée uniquement par le séchoir. On arrive à supprimer entre 80 et 85% sur le séchoir, ce qui représente, sur le global de l’usine, une dizaine de pourcents. Et par rapport à notre roadmap 2030, 10% de la consommation sur notre usine dans l’Aude, ça représente 6% de l’ensemble de nos sites en France. Ce projet fait donc déjà 6% de l’objectif 2030 », se félicite Childéric Gourdin.
Une technologie promise à être déployée ailleurs
Le succès du projet ouvre maintenant la voie à une diffusion plus large. Le stockeur, testé ici pour la première fois, devient un modèle réplicable dans une industrie fortement émettrice.
Arnaud Gauthier
Photo : le site produit entre autres des tuiles en terre cuite. ©DR
