Au-delà des analyses oenologiques devenues incontournables, les Laboratoires Dubernet se penchent sur la composition et l’évolution de la terre nourricière de la vigne. Une vision plus globale et une petite révolution entreprise depuis Montredon-des-Corbières.
« Pour faire du bon vin, il faut de bons raisins. Pour avoir de bons raisins, il faut une vigne en bonne santé. Et pour cela, un sol capable de lui fournir ce dont elle a besoin. » Sous ses airs de syllogisme, la déclaration de Matthieu Dubernet pourrait sembler anodine. Elle traduit pourtant une vision presque révolutionnaire pour l’avenir de la viticulture. Elle résume à elle seule la philosophie de celui qui préside les Laboratoires Dubernet : penser agro-œnologie. Autrement dit, ne plus se limiter à la vigne, mais s’intéresser aussi à la terre qui la nourrit. « Les sols sont bien plus qu’un simple support », insiste l’ingénieur agronome, qui a choisi de tourner une part de l’activité de son laboratoire vers l’étude du vivant souterrain : « Si vous améliorez votre environnement, vous améliorez votre vin. »
La troisième génération Dubernet
Installés à Montredon-des-Corbières, les Laboratoires Dubernet analysent et conseillent des viticulteurs de toute la France. La structure est unique en Europe et dispose aujourd’hui d’un équipement de pointe qui lui permet aussi de se tourner vers cette approche globale des sols, que peu de labos dans le monde ont adopté. « Il y en a un en Australie, un autre en Californie », détaille Matthieu Dubernet. Ce dernier est d’ailleurs devenu, en décembre 2024, partenaire du laboratoire narbonnais : « C’est à la fois une entrée dans le capital et un partenariat sur l’échange de données. » Un partage de datas devenu nerf de la guerre.
Matthieu incarne la troisième génération à diriger les Laboratoires Dubernet. Et la quatrième pousse déjà à la porte. Une constance familiale dédiée à un métier qui, lui, a bien changé depuis les années 1960, date à laquelle son grand-père lança son activité de conseil œnologique en terres narbonnaises. Le père, qui a rejoint l’aventure en 1974, a entre autres contribué au succès du Val d’Orbieu en travaillant à l’alignement de la production avec les attentes du marché.
« Dès qu’on a une vision étroite, on fait des bêtises »
Aujourd’hui, l’entreprise emploie 60 salariés. « La moitié à l’accent du Midi, l’autre vient de plus loin », plaisante Matthieu Dubernet. Mesures des sols, analyses de sarments, contrôles de maturité, suivis de cuves pendant les vendanges ou l’élevage : jusqu’à 2 000 échantillons passent chaque jour entre les mains des techniciens de Montredon. En ce mois d’octobre, les portes automatiques du laboratoire ne cessent de s’ouvrir et de se fermer au rythme des allées et venues de vignerons venus déposer leurs échantillons. Si ces analyses sont aujourd’hui indispensables à l’élaboration de toute cuvée, c’est bien vers la terre que Matthieu Dubernet veut désormais concentrer son énergie.
« L’analyse des sols a longtemps été galvaudée en France, parce qu’on l’a réduite à la question des engrais, déplore le dirigeant. Pourtant, connaître son sol et son évolution devrait être une priorité. En vingt ans, la dégradation des sols a fait perdre 150 millions de mètres cubes d’eau de réserve utile sur le territoire. L’équivalent du lac du Salagou ! C’est ce qu’on pompe chaque année dans le Rhône. »
Des automates et de la microbiologie
Pour casser ce cercle vicieux, il plaide pour une irrigation indispensable mais plus intelligente. « On ne gère bien que ce que l’on mesure. Il faut connaître son sol pour savoir comment irriguer. Le goutte-à-goutte, par exemple, n’est pas toujours pertinent. Dès qu’on a une vision étroite sur un sujet, on fait des bêtises. On voit des vignes qui bénéficient d’autres modes d’irrigation que le goutte-à-goutte et qui se comportent mieux face aux coups de chaud. »

Appliquer une vision globale. Toujours et encore. L’analyse des terres fait partie de cette stratégie d’ensemble et est devenue aujourd’hui plus pertinente grâce aux progrès technologiques. Exit le chrome VI, produit autrefois utilisé et hautement polluant. Les Laboratoires Dubernet sont désormais capables d’étudier la composition microbiologique des sols, rapidement et sans danger sanitaire. Ici, travaillent par exemple les premiers automates dédiés à l’analyse. Des machines capables d’effectuer des centaines de tests à l’heure.
« La vigne est une vraie caisse de résonance climatique »
Autant de données, d’enseignements qui doivent permettre, selon Matthieu Dubernet, d’orienter l’agriculteur : « La façon de nourrir une vigne a un impact évident sur les équilibres du vin qui sera produit. C’est en ayant cela en tête que l’on peut créer des voix d’adaptation à l’évolution climatique et éviter de voir notre vignoble être condamné à déménager car la vigne est une vraie caisse de résonance climatique. »
Lier la terre, la data et la finance
La science mise au service du terrain directement. Mais pas uniquement. Associée aux progrès de l’intelligence artificielle – utilisée ici depuis des décennies – et à la puissance de stockage des données, cette méthode ouvre de nouvelles perspectives. « Elle permet aussi d’attirer des investisseurs sur ces sujets, d’établir des liens entre la terre, la data et la finance. En Occitanie, on a une valeur extra-monétaire considérable à faire reconnaître », souligne Matthieu Dubernet.
« On est la plus grande région viticole du monde mais on est loin d’être la plus riche », rappelle amèrement le visionnaire alors l’arrivée d’un oxygène financier ne ferait pas de mal à la filière languedocienne. De quoi retrouver confiance en l’avenir de la viticulture languedocienne ? « Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. Je suis combatif. Si on ne fait rien, il y aura des prophéties auto-réalisatrices qui condamnent notre territoire… mais quand on agit, et quand on agit bien, de belles choses arrivent. La nature est prête à avancer avec l’homme pour autant que les deux sachent dialoguer ensemble. »
Arnaud Gauthier
Photo : Matthieu Dubernet a fait évoluer le laboratoire familial pour le placer à la pointe mondiale. ©A.G.
