Mis en lumière sous la plume d’Emile Zola avec “Au bonheur des dames”, les grands magasins ont marqué une époque. Narbonne a eu le droit à la version “bordelaise” : Aux dames de France. Petit retour dans le passé alors que le chantier de la marquise du bâtiment sera finalisé d’ici la mi-juin.
À l’occasion de la visite du chantier de restauration de la marquise du bâtiment Aux dames de France, la Ville de Narbonne a convié Flore Colette, conservatrice du patrimoine, pour retracer l’histoire de cet édifice emblématique du centre-ville. Excellente idée et plongée dans l’âge d’or des grands magasins.
Nés au XIXe siècle, les grands magasins transforment le paysage commercial. Avec l’ouverture du Bon Marché à Paris en 1852, Aristide Boucicaut inaugure un nouveau modèle : des commerces de centre-ville, multi-spécialistes, répartis sur plusieurs niveaux, où les prix sont affichés, sans marchandage, et où l’entrée est libre. Le succès est immédiat, et le concept s’étend rapidement à l’Europe, aux États-Unis, au Canada, jusqu’en Russie.
Déjà des escaliers roulants
Ces “cathédrales du commerce” introduisent aussi des innovations architecturales et techniques : structures métalliques, escaliers majestueux, électricité, ascenseurs et même escaliers roulants. Les façades vitrées et les coupoles spectaculaires deviennent leur signature. À Paris, on voit s’ériger les Grands Magasins du Louvre (1855), Printemps (1865), La Samaritaine (1870) ou encore les Galeries Lafayette (1896).

Le phénomène gagne aussi les grandes villes de province. En 1898, la société Paris-France crée Aux dames de France à Bordeaux, avant d’essaimer à Perpignan, Toulon, Hyères… et Narbonne, où le magasin ouvre ses portes en 1907, en plein bouleversement urbain. “Des matériaux du chantier auraient même été utilisés lors de la révolte viticole de 1907”, souligne Flore Colette.
À cette époque, la ville connaît une modernisation profonde portée par l’essor du négoce viticole. Les anciens remparts sont démolis, les fossés comblés, de larges boulevards sont tracés. Le bâtiment Aux dames de France prend place face au Palais des archevêques, à l’emplacement de l’ancien palais vicomtal.
La marquise, un symbole
L’édifice s’inscrit pleinement dans l’esthétique de son temps. Deux tourelles d’angle coiffées de coupoles en zinc encadrent une façade richement décorée. La marquise, aujourd’hui en cours de restauration, est l’un des éléments les plus remarquables du bâtiment. Longue de 42,5 mètres, elle s’étend sur toute la façade ouest. Composée de fer puddlé et de fonte, elle repose sur neuf poteaux de hauteur variable. Elle témoigne à la fois des progrès techniques de l’époque et de l’essor du style Art Nouveau, qui commence à émerger… à Narbonne aussi.

Aujourd’hui partiellement dissimulée par les faux plafonds des actuels commerces, la structure métallique du bâtiment demeure visible au premier étage. Elle rappelle que ces lieux n’étaient pas seulement des espaces de vente, mais aussi des symboles de modernité et de transformation sociale.
Avec cette restauration, Narbonne redonne vie à un patrimoine commercial unique, hérité d’un siècle où le commerce, l’architecture et la ville se réinventaient de concert.
Arnaud Gauthier