Le Département de l’Aude chapeaute la candidature au patrimoine mondial de l’Unesco d’un ensemble de huit fortifications. Un dossier baptisé « les Forteresses royales du Languedoc » qui irrite les défenseurs de la culture occitane déplorant la disparition de la référence à la période cathare.
« Le système de forteresses de la sénéchaussée de Carcassonne (XIIIe et XIVe siècles). » C’est sous ce nom peu ludique que la France a déposé un dossier de candidature en vue d’obtenir l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco pour un ensemble de huit fortifications audoises et ariégeoise : Aguilar, Carcassonne, Lastours, Montségur, Peyrepertuse, Puilaurens, Quéribus, Termes. Ce nom de baptême, ressemblant à s’y méprendre à celui d’une thèse, s’attirera sûrement la sympathie scientifique des pointilleux experts de l’Unesco. Il est, en revanche, plutôt repoussant pour le grand public. Alors, le Département de l’Aude, qui chapeaute cette candidature, a décidé de lui octroyer un deuxième nom plus « sexy » et destiné à emporter une large adhésion : les Forteresses royales du Languedoc.
Une appellation « de vraie valeur historique et scientifique » devant permettre que cette candidature « soit portée populairement par les Audoises, les Audois, les Ariégeoises, les Ariégeois et les Occitans », lançait début février 2025 la présidente du Département, Hélène Sandragné à l’heure de dévoiler ce nouveau nom. Elle l’estimait alors « fédérateur ». Si la bataille semble gagnée pour l’aspect caution « scientifique », le succès populaire n’est pas au rendez-vous. En atteste le récent sondage effectué par nos confrères de La Dépêche du Midi auquel 87 % des 2 257 sondés se sont montrés en désaccord avec l’appellation « Forteresses royales du Languedoc ». Le 11 février dernier, pour rendre compte de cette présentation, nous soulignions : « Une présidente qui tenait fermement à justifier l’apparition du mot royal et peut-être surtout la disparition du mot cathare », sentant déjà la contestation du monde occitan poindre.
« C’est même du révisionnisme »
« Cette appellation est incompréhensible. C’est un reniement de l’histoire occitane. C’est même du révisionnisme », lance abasourdi Joan-Peire Laval, le président de l’association País Nòstre qui s’est emparée du sujet et mène la fronde depuis des semaines. On n’est pas du tout d’accord avec ce choix pour des raisons évidemment historiques mais aussi par rapport à la position qu’a toujours eu le Département depuis 40 ans avec notamment un programme européen Leader qui s’articulait sur le thème « Aude, pays cathare ». Il y a eu des campagnes de promotion autour de cela, les châteaux ont toujours été baptisés ainsi et cela correspond à des travaux historiques. »
Le catharisme, pas en odeur de sainteté auprès des experts de l’Unesco ?

Pourtant, c’est bien semble-t-il pour ne pas froisser les experts historiens d’Icomos (le Conseil international des monuments et des sites de l’Unesco) que le mot cathare a été rayé de la carte. D’abord parce que dire que le catharisme divise la communauté scientifique est un euphémisme, ensuite parce que la construction ou la reconstruction des châteaux ont été décidées par les monarques. « Je ne comprends pas très bien les remarques et les griefs contre les Forteresses royales du Languedoc, explique Hervé Baro, vice-président du Département et président délégué de l’association Mission patrimoine mondial (AMPM). Il y a dans l’histoire des périodes qui se succèdent. Le fait de déposer une candidature ciblée sur une période donnée et qui met en avant les forteresses royales n’efface pas toute la séquence cathare. » Et de poursuivre : « La valeur universelle exceptionnelle du bien est liée à la période qui fait suite à ce qu’on pourrait appeler la période cathare et qui consiste à regarder ce qui s’est passé au lendemain des croisades et donc à l’arrivée des troupes du roi et de ses seigneurs dans le Midi. »
« Ce changement de dénomination en a surpris plus d’un mais c’est la réalité historique. »
Arnaud Fossier
Une approche qui fait écho chez les historiens. Parmi eux, Arnaud Fossier, spécialiste de l’hérésie cathare, auteur d’un livre Les Cathares, ennemis de l’intérieur, et qui compte quelques apparitions médiatiques. Publication d’une tribune dans Le Nouvel Obs cet été ou invité de France Inter plus récemment, dans Le Fil de l’histoire, l’historien y a validé les forteresses royales : « Ce changement de dénomination en a surpris plus d’un mais c’est la réalité historique. Ces châteaux n’ont jamais été occupés par des Cathares. Au contraire, ils ont été construits sur ordre du roi de France pour écraser cette dissidence cathare et pour surveiller le royaume voisin très proche, le royaume d’Aragon. »
Alors pourquoi, au fil des années, le terme cathare s’est imposé dans l’opinion publique ? « Dans la France d’après-guerre, dans les années 1960, un très fort sentiment régionaliste connaît un regain dans le Languedoc et le label Cathare va servir de bannière à laquelle se rallier quand on est occitan, détaille l’historien. Ces mythologies diverses s’expliquent en grande partie – non pas par manque de sources car les historiens disposent d’une documentation très riche – mais plutôt parce qu’aucun de ces documents écrits n’a été laissé par les Cathares eux-mêmes. On ne saura jamais ce que ces gens pensaient réellement et ce en quoi ils croyaient. Et pour cause, la religion cathare, le catharisme est un mythe. C’est une construction totale de l’Eglise catholique, qui se met en place dans le dernier tiers du XIIe siècle. »
« On ne peut pas oublier l’origine »

Mythe lancé par l’église catholique ou non, Joan-Peire Laval retient l’influence des cathares sur l’histoire languedocienne : « La seule croisade intérieure à l’Occident, enfin à l’Europe et à la Chrétienté, elle s’est faite ici. Contre ce qu’on appelait les Albigeois, et plus largement contre les Languedociens. C’est donc répressions occupations de villages, des centaines de milliers de meurtres… C’est un crime contre l’humanité qui s’est passé ici. Et le résultat final, ça a été le rattachement du Languedoc au royaume de France. C’est l’intervention du roi, des troupes royales, qui a fini de réprimer les Languedociens et derrière les cathares. On ne peut pas oublier cette origine. » Comprenez : ce qui s’est passé ensuite est hérité de cette période et ne peut être occulté. « Si on prend l’exemple du Pont des Marchands à Narbonne, c’est un pont d’origine romaine. Pourtant, après les Romains, après la chute de Rome, il y a eu d’autres civilisations, il y a eu les Wisigoths par exemple. On ne l’appelle pas le pont d’origine Wisigoth, on l’appelle le pont d’origine romaine. Toujours », appuie Joan-Peire Laval.
Un héritage matériel ou immatériel ?
Une réflexion à laquelle, Hervé Baro, qui suit de près et de longue date cette candidature à l’Unesco entamée 12 ans plus tôt, répond sûr de son fait : « Ces forteresses ont toutes été construites, reconstruites, agrandies ou consolidées par les ingénieurs du roi, selon les techniques des rois de France, qui sont arrivées du Nord et qui sont adaptées à la géographie méridionale. L’unité est ici. Par exemple à Montségur, il n’y a rien de la période cathare, les constructions sont plus récentes. »
La solution pour contenter tout le monde aurait alors été de se lancer dans une candidature au patrimoine immatériel, et non matériel comme actuellement. « La démarche engagée par le Département, c’est d’inscrire les biens matériels que sont les châteaux, tranche Jean Brunel, directeur de cabinet de la présidente du Département. Le catharisme aurait pu l’être mais dans une démarche totalement différente, une démarche immatérielle et qui ne renvoie pas à des constructions. Si on voulait inscrire le catharisme, on ne se serait pas appuyé sur la réalité de nos châteaux, on se serait appuyé sur l’impact de cette doctrine des dissidences religieuses. »
Les experts d’Icomos doivent être sur place dans l’automne, ils rendront un premier avis le 28 février 2026 dans un long aller-retour de questions-réponses entre les candidats et le comité de l’Unesco… qui rendra sa décision finale en juillet 2026.
Arnaud Gauthier
Photo principale : les vestiges majestueux du château de Lastours. ©AMPM
