Après le terrible incendie, le président de la chambre d’agriculture de l’Aude attend de pied ferme la ministre de l’Agriculture ce jeudi en fin de matinée à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. Avec des revendications claires dont celle de créer une zone d’exception dans les Corbières pour permettre d’accélérer la reconstruction et asseoir l’avenir des Corbières.
Après une semaine terrible, tout d’abord comment allez-vous ?
Ça va. Je suis comme tous ceux qui sont passés tout près et qui n’ont pas été touchés. On est à la fois soulagé pour nous-mêmes et très triste pour les gens autour. On a des collègues qui ont tout perdu, la maison, le matériel, les vignes. En tout cas, ils ont perdu la récolte, pour être plus précis. On a aussi des vignes qui ne s’en remettront pas aussi. Et puis, on est fatigué quand même, tous. Ce n’est pas la première crise que l’on vit depuis quelques années. On est déjà dans une zone des Corbières très sinistrée. Même les endroits où il n’y a pas eu de feu, on va avoir une petite récolte de nouveau. Donc voilà, l’ambiance n’est pas très bonne. Les gens sont fatigués, je pourrais même dire démoralisés, par cet incendie et aussi par la succession de crises que l’on traverse. Il y a beaucoup de sentiments qui s’entremêlent.
Comme de la colère ?
Chacun réagit à sa façon. Certains sont en colère, oui. Parce que c’est vrai qu’on avait quand même alerté sur les risques de feu chez nous. Parce qu’on est sur le terrain et qu’on voyait bien depuis des années que tous ces pins, toute cette broussaille, ça risquait un jour d’engendrer des problèmes. Je ne suis pas du genre à être en colère dans ces moments-là. Mais des gens le sont et ça se comprend.
Comment la chambre d’agriculture va épauler financièrement et psychologiquement aussi peut-être les viticulteurs en grande difficulté ?
Il faut d’abord noter qu’il n’y a pas que des viticulteurs. C’est vrai que 90% des cas, ce sont des vignerons. Mais il y a aussi quelques éleveurs et des apiculteurs. La chambre a mis en place un numéro d’urgence, dès le départ qui permet aux gens de se faire référencer pour les dégâts, pour de futures aides, qu’on puisse les accompagner dans les démarches d’assurance.
Ensuite, cette semaine, on a ouvert une permanence à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. Jusqu’au milieu de semaine prochaine, quelqu’un sera tout le temps à la mairie de Saint-Laurent et va pouvoir accueillir les sinistrés pour compléter ce qui n’a pas été fait par téléphone ou simplement leur parler s’ils ont besoin de quelque chose, les aider.
« Il faudra une certaine finesse dans la récolte pour ne pas mélanger les choses »
Ludovic Roux
Puis les jours passant, on va arriver à de l’accompagnement technique, éventuellement. Des gens vont se demander ce qu’ils doivent faire sur leur vigne. On a déjà envoyé à tous les agriculteurs sinistrés, à toutes les coopératives, à toutes les caves, les bons gestes à adopter selon les différents cas de figure.
L’idée, c’est qu’on les aide, on les accompagne à faire les bons choix pour les vendanges parce qu’on a des raisins qui sont altérés à divers degrés. Donc, il faudra une certaine finesse dans la récolte pour ne pas mélanger les choses. Certains raisins ne devront pas être vinifiés, d’autres, si…
Puis dans les semaines qui arrivent, voire les mois, il faudra accompagner techniquement pour voir les vignes qui sont en capacité de repartir au printemps prochain et celles qui ne pourront pas. Il faudra faire des arrachages, des replantations.
Nous avons aussi l’association des agriculteurs sinistrés, on l’avait déjà remise en route pour le précédent feu, aujourd’hui, malheureusement, elle devient plus que jamais nécessaire. Son but est de capter des financements, des aides de tout le monde, à la fois des privés, des entreprises mais aussi des collectivités locales. Il nous faudra d’abord recenser les trous dans la raquette une fois qu’on connaîtra la prise en charge des assurances et de l’aide publique.
« La capacité de résilience des gens des Corbières m’étonnera toujours »
Avez-vous déjà pu recenser des agriculteurs qui ont tout perdu et qui ne pourront pas relancer leur activité après ce sinistre ?
Recenser, non. Mais on en connaît qui ont tout perdu et il y en a quelques-uns, pas beaucoup, mais quelques-uns qui ne pourront pas relancer. Après c’est un peu tôt parce que ça va dépendre aussi des accompagnements qui seront mis en place.
Mais la capacité de résilience des gens des Corbières m’étonnera toujours. Si les assurances font bien leur boulot, si les aides publiques arrivent et avec un peu d’argent de l’association, j’espère que les gens pourront se relever.
Maintenant, on attend donc la venue de la ministre ce jeudi pour voir comment les pouvoirs publics et la solidarité nationale pourront accompagner la perte de récolte.
Vous attendez quoi justement des échanges avec la ministre de l’Agriculture ce jeudi ?
Demain, j’ai trois objectifs. Le premier : lui faire constater que la déprise agricole est une catastrophe pour le territoire et pas que pour l’agriculture. Je veux qu’elle le constate et elle le constatera d’elle-même. Cette catastrophe qu’est la déprise est dangereuse pour les citoyens, pour la biodiversité, pour la sécurité puisqu’on a vu qu’il y avait quand même 35 maisons qui avaient brûlé. Qu’elle constate qu’au contraire, l’agriculture est une solution pour beaucoup de choses.
C’est le premier point parce que c’est à partir de ce constat-là qu’on pourra atteindre le deuxième objectif : que l’agriculture doit être sauver et c’est aujourd’hui ! Parce qu’on ne peut pas parler d’avenir si on ne sauve pas les gens qui sont sur le terrain et qui se battent tous les jours pour survivre. Il y a deux, trois mesures fortes à prendre. La première, l’essentielle, c’est de compenser les pertes de récolte. Il faut un fonds d’urgence. C’est la priorité des priorités. Avec une exonération d’impôts fonciers pour toutes les communes sinistrées. Ce ne serait pas du luxe. Si la ministre entend cela et arrive avec des réponses, on pourra sauver un maximum de viticulteurs, voire tout le monde.
Le troisième objectif, c’est de commencer à la sensibiliser sur ce qu’il faut faire pour que ces Corbières retrouvent de l’espoir. Il nous faut une reconnaissance de la Méditerranée comme zone spécifique à aider, sur le même principe que ce qui a été fait pour les zones de montagne. Si on n’aide pas spécifiquement cette zone, l’agriculture ne tiendra pas.
Il faut nous pencher sérieusement sur la gestion de l’eau. Il nous faut de l’eau pour que ces Corbières retrouvent l’espoir. Mais de l’eau bien gérée. Notre territoire a un gros problème avec l’eau. On l’a encore vu lors de l’incendie, les pompiers étaient obligés de vider des châteaux d’eau pour lutter contre le feu. On a des problèmes pour abreuver les animaux. On a des problèmes parfois d’eau potable l’été dans nos villages. Et évidemment, on n’a pas d’eau pour de temps en temps, accompagner des plantes avec sobriété et pouvoir continuer notre métier.
« Faire comme pour Notre-Dame : à situation exceptionnelle, réaction exceptionnelle »
Il y a urgence et il ne faut pas commencer le débat en se demandant si c’est légitime d’irriguer telle plante ou pas… Commençons le débat par où est la ressource ? Comment on la capte ? Comment on obtient de l’eau dans les Corbières ? Après, on aura largement le temps de discuter de son utilisation.
Il existe déjà des pistes, des chantiers qui ont été ouverts sur ce sujet…
Oui et on a déjà des propositions écrites, des dossiers. Certains sont avancés, d’autres sont bloqués pour des questions administratives. D’autres sont dans les tuyaux, prêts à être lancés s’il y a des financements. On a Aqua Domitia 2 pour une partie du territoire. On a également le forage qui reste une super solution s’il est utilisé avec intelligence, s’il est bien géré et si on mesure la réserve. Il y a également les retenues collinaires de taille intermédiaire. Et là, on aura besoin de porteurs de projets qui soient collectifs.
Après, il faut vraiment qu’il y ait la volonté d’accélérer les choses. On demande à être une zone d’exception pour cela. L’idée, c’est de faire comme pour Notre-Dame de Paris : à situation exceptionnelle, il faut une réaction exceptionnelle. Et donc qu’on reste dans le cadre de la loi mais qu’on puisse accélérer vraiment les procédures. Parce qu’aujourd’hui, le moindre petit projet de retenue collinaire, c’est 10 ans. Il y a 10 ans qu’on travaille sur notre commune à un tel projet et pour l’instant, il n’y a pas une goutte d’eau qui est sortie. Il y a des procédures qui peuvent être largement simplifiées, tout en restant dans le cadre de la loi.
L’état d’esprit, c’est de dire : OK on reconstruit, on se bat, mais par contre, on a besoin de soutien. Beaucoup de collègues disent que notre seul espoir, c’est que ce feu ait mis en lumière notre détresse, l’urgence de la situation. C’est notre seul espoir.
Propos recueillis par Arnaud Gauthier
Photo : Ludovic Roux, président de la chambre d’agriculture de l’Aude. ©DR