Le chanteur et parolier du groupe toulousain Zebda devenu écrivain au joli succès sera au salon du livre de Narbonne ces 17 et 18 mai. Pour une lecture musicale de ses plus beaux textes samedi soir et une rencontre avec le public dimanche.
Magyd Cherfi, tout d’abord, comment allez-vous ?
Eh bien, plutôt bien. Je fais quelques concerts, quelques lectures. Et j’écris ! En ce moment, je suis sur un projet de film. J’adapte justement mon bouquin « La vie de ma mère ! » pour le cinéma. Je rentre aussi de mon séjour habituel au bled. Il y a un truc absolument extraordinaire dans notre maison là-bas, en haut de la montagne algérienne : c’est le silence absolu. Je reste sur le balcon et je contemple le silence.
On vous a découvert comme chanteur explosif et parolier précis de Zebda, comme écrivain délicat et aujourd’hui, vous écrivez pour le cinéma… Avec toutes ces casquettes et facettes, quel artiste êtes-vous au final ?
Je crois que mon identité profonde, c’est l’écriture. D’ailleurs, on était au lycée quand les mecs (ceux de Zebda, NDLR) sont venus à moi parce que j’écrivais des poèmes. Beaucoup de poèmes. Je suis devenu l’auteur de Zebda parce que, eux, étaient musiciens et que moi j’écrivais. En fait, tout a tourné autour de l’écriture dès le début. Mais je ne savais pas que je deviendrais parolier. J’ai appris, j’ai passé des années à apprendre comment on écrit une histoire pour la raconter dans une chanson de 2’40 ».
« J’avais mon petit surnom : le poète »
Vous avez donc un rapport très fort à l’écriture depuis longtemps ?
À 12 ans, j’écrivais déjà des poèmes pour les filles de mon quartier. J’avais mon petit surnom : le poète. Pour les copains de la cité, écrire c’était déjà être sur la lune. Et un poète, ça vit sur la lune. Ce qui n’était pourtant pas vraiment mon cas. Mais j’étais un peu en surplomb et je regardais ces gens, ces familles immigrées dans les quartiers nord. Je regardais tous ces gens dire : « On va péter les dents à un tel ». Moi, j’étais un peu au-dessus de tout ça… Je ne voulais pas péter les dents à qui que ce soit.
À Narbonne, vous venez pour deux temps principaux : une rencontre-échange avec le public le dimanche matin mais aussi pour une lecture musicale le samedi soir. Est-ce que cet exercice n’est pas le meilleur moyen de réunir vos deux mondes : la musique et l’écriture ?
C’est effectivement à la fois le plaisir de la musique et celui des mots. Je suis un peu comme un conteur. Je me raconte à travers les passages les plus incandescents de mes livres, que j’ai sélectionnés. C’est l’occasion de caboter. Ces lectures musicales, c’est l’occasion pour moi de faire un peu l’acteur, de faire le cabotin. Et c’est un autre plaisir.
« Provoquer à la fois le rire et des émotions un peu fortes. »
Comment avez-vous sélectionné, sur quels critères, les passages de vos livres que vous donnez à entendre ?
On choisit les passages les plus oraux, ceux qui se racontent le mieux. Et il y a un côté un petit peu difficile parce que je parle quand même la misère des miens. Immigrés, prolétaires… des gens qui ont connu l’exil. Des parents, une famille, qui ont perdu leur langue, leur mémoire. En même temps, je l’amène de manière ironique, ce qui est l’occasion de provoquer à la fois le rire et des émotions un peu fortes. Il m’arrive de changer les textes ou les musiques. Mais en général, je suis un fil parce que j’ai un certain nombre de titres, et j’essaie d’être en lien avec le texte. Je lis le passage et ensuite on joue la chanson qui illustre le texte que je viens de lire.
Vous avez connu évidemment la gloire musicale avec Zebda mais aussi le succès littéraire avec « Ma part de Gaulois », qui a quand même eu une rencontre avec le public extraordinaire. Vous avez vécu ça comment ? Vous vous y attendiez ?
Non, on ne s’y attend pas. Même pour la musique… parce qu’on a un petit peu le complexe de l’imposteur, en quelque sorte. On se dit « ce n’est pas pour nous », parce qu’on ne fait pas partie des élus. Et puis ça arrive. Pour la musique, c’était un véritable effarement de voir comment ça a pu marcher. Et encore plus pour la littérature parce qu’on a l’impression que c’est beaucoup plus prestigieux. C’est au final un vrai plaisir, une forme de reconnaissance d’un travail littéraire et j’ai eu ce bonheur là d’avoir connu ces deux moments.
L’atmosphère, l’ambiance qui est décrite dans « Ma part de Gaulois » ramène à une époque où existait l’espoir fort de vivre ensemble, de fraternité. Aujourd’hui, la société semble fracturée durement. Comment interprétez-vous ces bouleversements qui se sont produits en 20-30 ans dans la société française ?
Je dois vous dire que, même avec toute cette conscience politique qui a pu nous habiter, je suis assez effaré. Je ne m’attendais pas à ça. Je me souviens de nos 20 ans dans les années 80 et je me disais : « On va ouvrir les pages d’une France nouvelle, de quelque chose de multiculturel, d’universel. Nous, jeunesse issue de l’immigration, on va porter une parole laïque, républicaine, progressiste, féministe, antiraciste. » Et finalement, je me dis aujourd’hui que nous n’étions que l’écume et que les quartiers n’étaient pas prêts à ça. Je suis donc un peu désespéré. Surtout de l’attirance pour la religion, le spirituel, plutôt que la laïcité. C’est un peu le contraire de ce que j’ai pu imaginer en 1980, pour tout dire de la gauche au pouvoir.
« On partira toujours du Sud pour rejoindre le Nord »
Vous n’y croyez plus ? Le multiculturalisme n’est désormais plus envisageable ?
C’est plus qu’envisageable. Je crois que c’est inéluctable. Parce que les mariages mixtes se font, parce que le mouvement migratoire est « inarrêtable ». On peut construire tous les murs qu’on veut, on partira toujours du Sud pour rejoindre le Nord, parce que c’est l’Eldorado, quoi qu’on en dise. Il y a un mouvement inexorable de la mixité des choses, des idées, des corps. Alors le problème c’est que ça se fait dans la difficulté. J’aurais aimé moi que les gouvernants encouragent l’idée de la mixité. C’est là que la gauche a échoué parce qu’elle a eu peur alors qu’on a pensé que la gauche allait motiver cette idée multiculturelle. C’est pour ça qu’on se casse la figure. La droite n’en voulait pas, la gauche a eu peur. Et donc on se retrouve avec deux camps opposés, l’un ayant peur d’être dévoré par l’autre. Alors que l’idée c’était de conjuguer nos différences pour élever la notion de libre arbitre, de modernité. Parce qu’en vérité, le métissage, c’est pas uniquement le plaisir du mélange, c’est aussi la modernité et qu’il faut bien aller de l’avant.
« Nos mères attendaient que des perches leur soient tendues »
Vous êtes toujours imprégné, inspiré par la société, par ceux que vous côtoyez. Et même dans votre ouvrage « La vie de ma mère ! » qui ne se veut plus autobiographique, on sent quand même que vous avez besoin d’être rattaché en permanence à votre réalité, votre quotidien ?
Ce qui m’a paru intéressant dans « La vie de ma mère ! », c’était de raconter ce que ma mère aurait aimé vivre. Et je le raconte parce que nos mères, en réalité, auraient aimé avoir une autre vie que celle qu’elles ont eue, c’est-à-dire sous le joug d’un mari, d’une tribu, d’une chaîne patriarcale, de la religion. Elles auraient aimé avoir eu moins d’enfants et plus de fiches de paie. Elles auraient aimé travailler, parfois divorcer. Ma mère me l’a raconté : « Ton père, si j’avais pu, je l’aurais quitté ».
C’est toujours cette idée de la modernité. De ces mères qui attendaient, entre autres, dans un État de droit comme la France, que plus de perches soient tendues vers elles. C’était leur rêve d’émancipation.
Il vous a fallu du temps pour ne plus voir votre mère comme une maman mais comme une femme ?
Je crois que oui. Quand on a une écriture plutôt autobiographique comme la mienne, on implique des gens qui vivent autour de nous, frères, sœurs, amis. C’est très difficile d’entrer dans la vie de ses proches et de la dévoiler un petit peu. Il faut prendre le risque de trahir, de déplaire. Et donc, tout ça prend du temps. Le temps aussi de la digestion de ces messages envoyés par nos mères. Comme la mienne qui m’a dit un jour : « Tu sais, quand j’avais 20 ans, j’ai aimé un homme qui n’était pas ton père. C’était un amour cérébral. » Et longtemps, je n’ai pas voulu l’entendre, donc je ne la laissais pas finir ses phrases. Jusqu’au moment où on se dit : « Oui, maman a été une femme avant d’être une mère. » Et il faut ensuite aller à la rencontre de cette femme et plus seulement de la mère.
Un dernier mot sur Narbonne, vous venez en voisin. Vous avez quelques souvenirs ici ?
Narbonne, évidemment ! C’est les vacances ! Mes vacances familiales avec mes parents à Narbonne-Plage. Puis plus tard, les premiers concerts de Zebda et enfin les premières présentations de livres. J’ai eu un certain nombre de rendez-vous avec Narbonne.
Propos recueillis par Arnaud Gauthier
Photo : chanteur et parolier du groupe Zebda, Magyd Cherfi sera au salon du livre du Grand Narbonne. ©Polo Garat
Salon du livre du Grand Narbonne, samedi 17 et dimanche 18 mai.
Lecture musicale, Longue haleine, samedi 17 mai, 21 h 30, Musée Narbo Via. Réservation ici.
Rencontre, Les Liens du sang, dimanche 18 mai, 10 h 30 – 11 h 15. Espace rencontres.
Le programme complet ici.